26 février 2013

Trafiquants d'opium du peuple

  « Les courants intégristes, nous dit Gilbert Achcar, se sont construits comme forces d’opposition avec un slogan simpliste: l’islam est la solution. C’est complètement creux, mais cela fonctionnait dans un contexte de misère et d’injustice où l’on pouvait vendre cette illusion. Les islamistes sont des trafiquants d’opium du peuple. Du moment qu’ils sont au pouvoir, ce n’est plus possible. Ils sont incapables de résoudre les problèmes des gens. »

Michel Peyret
25 février 2013


Révolutions arabes : entretien avec Gilbert Achcar


Professeur à la School of Oriental and African Studies (SOAS) de Londres, Gilbert Achcar est l’un des meilleurs analystes du monde arabe contemporain. Né en 1951, il a quitté le Liban en 1983. Il a successivement enseigné à l’université de Paris-VIII, puis au Centre Marc-Bloch, à Berlin. Son engagement à gauche et pro-palestinien ne l’a jamais empêché de porter un regard sévère sur les dictatures nationalistes arabes [1].

Comment qualifier ce qui se passe dans le monde arabe depuis 2011?
J’ai choisi comme titre, pour mon livre, le mot neutre de «soulèvement». Mais, dès l’introduction, je parle de processus révolutionnaires de long terme. Il était clair, dès le commencement, que nous étions au tout début d’une explosion. La seule chose que l’on peut prévoir avec certitude, c’est que ce sera long.
Emmanuel Todd [2] a donné une explication démographique du phénomène. Vous penchez plus pour une explication marxiste.
La phase pendant laquelle le monde arabe se distinguait par une démographie galopante est terminée depuis une vingtaine d’années. Je suis parti de l’état des lieux à la veille de l’explosion, en 2010. On constate un blocage du développement, qui contraste avec le reste du monde. Même dans l’Afrique subsaharienne. La traduction la plus spectaculaire de ce blocage est un taux de chômage record, notamment chez les jeunes. Ensuite, il y a une modalité spécifique du capitalisme dans la région: tous les Etats sont rentiers à des degrés divers. L’autre caractéristique, c’est un patrimonialisme où le clan dominant possède l’Etat et va jusqu’à le transmettre de manière héréditaire.
Les révolutions arabes se sont traduites par des libéralisations politiques, mais pas des bouleversements sociaux. Pourquoi?
En Egypte et en Tunisie, seul le sommet de l’iceberg a été cassé, c’est-à-dire les despotes et leur entourage immédiat. D’ailleurs, dans ces deux pays, l’«Etat profond» – l’administration, les appareils de sécurité – n’a pas bougé. Pour l’instant, seule la révolution libyenne a abouti à un changement radical: aujourd’hui, il n’y a plus d’Etat, plus d’armée. Le chambardement social y a été le plus prononcé, parce que l’espace privé, déjà étroit, était dominé par la famille Kadhafi.
On s’est étonné en Occident que les islamistes remportent les élections alors qu’ils n’avaient pas lancé ces révolutions…
Les attentes de l’Occident, ce romantisme du « printemps » et du « jasmin », tout ce vocabulaire orientaliste, se fondaient sur une méconnaissance de la situation. Il était évident que les intégristes allaient tirer les marrons du feu parce qu’ils se sont imposés, depuis la fin des années 1970, comme une force hégémonique dans la protestation populaire. Ils ont rempli le terrain laissé vacant par la faillite du nationalisme arabe. La crainte des intégristes est d’ailleurs la principale raison pour laquelle les gouvernements occidentaux soutenaient les despotismes arabes. Croire que tout cela allait être balayé revenait à prendre ses désirs pour des réalités. Avec le soutien financier du Golfe et l’appui télévisuel d’Al-Jazira, on ne pouvait pas s’attendre à autre chose qu’à des victoires électorales des intégristes. Ce qui est étonnant, c’est que ces victoires n’aient pas été écrasantes. En Egypte, on voit à quelle vitesse le vote intégriste s’effrite, des législatives au référendum sur la Constitution, en passant par la présidentielle. En Tunisie, Ennahda fait 40 % de la moitié des inscrits. Et, en Libye, les Frères musulmans locaux ont été battus.
Les difficultés actuelles des islamistes au pouvoir vous surprennent-elles?
D’abord, il faut dire que le retour aux despotismes n’est pas envisageable. Il faut en passer par l’expérience de l’islamisme au pouvoir. Les courants intégristes se sont construits comme forces d’opposition avec un slogan simpliste: l’islam est la solution. C’est complètement creux, mais cela fonctionnait dans un contexte de misère et d’injustice où l’on pouvait vendre cette illusion. Les islamistes sont des trafiquants d’opium du peuple. Du moment qu’ils sont au pouvoir, ce n’est plus possible. Ils sont incapables de résoudre les problèmes des gens. Ils sont arrivés aux commandes dans des conditions que personne n’envie et ils n’ont aucun programme économique.
Peut-on leur faire confiance pour organiser des scrutins qui pourraient les chasser du pouvoir?
C’est l’argument classique : une personne, une voix, mais une seule fois. Sauf qu’ils n’arrivent pas au pouvoir en position de force. Le peuple a appris à «vouloir», à descendre dans la rue. Jamais un dirigeant, dans l’histoire de l’Egypte, n’a été traité avec autant de mépris par son peuple que Morsi aujourd’hui…
Le modèle turc peut-il se transposer au monde arabe?
Non, ce ne sont pas des Frères musulmans qui dirigent la Turquie, c’est une scission moderniste qui s’est réconciliée avec le principe de laïcité. L’AKP turc, c’est la version islamique de la démocratie chrétienne européenne. Les Frères musulmans, ce n’est pas ça. C’est une organisation intégriste qui milite pour la charia et pour qui le mot laïcité est une injure. Sur le plan économique aussi, ils n’ont rien à voir: l’AKP incarne un capitalisme de petits industriels, tandis que les Frères musulmans participent d’une économie de rente, fondée sur le profit à court terme.
Pouvez-vous décrire l’influence du Qatar sur ces révolutions?
C’est une énigme. Certains dirigeants collectionnent les voitures ou les armes, l’émir du Qatar, lui, joue à la politique extérieure. Il s’est porté acquéreur des Frères musulmans comme on achèterait une équipe de football. Un homme a joué un rôle fondamental dans cette nouvelle alliance qui rappelle celle entre Mohamed ben Abdel Wahab [prédicateur, 1703-1792] et la dynastie des Saoud, au XVIIIe siècle: c’est le cheikh Qaradhawi, chef spirituel des Frères musulmans, installé de longue date au Qatar, où il a antenne ouverte sur Al-Jazira. Tout cela se passe dans un pays où l’émir ne tolère aucune opposition.
Comment expliquer la complaisance des Etats-Unis envers les Frères musulmans?
Cela a commencé sous l’administration Bush. Pour les néoconservateurs, le despotisme nationaliste a produit le terrorisme, il fallait donc renverser les despotes comme Saddam Hussein afin de diffuser la démocratie. Condoleezza Rice a voulu renouer l’alliance en vigueur dans les années 1950-1960 avec les Frères musulmans. Mais la victoire du Hamas aux élections palestiniennes a bloqué le processus. L’administration Obama, qui a hérité d’une situation catastrophique au Proche-Orient, a eu une attitude indécise et prudente. Quand tout a explosé, elle a choisi de faire semblant d’accompagner le mouvement. L’obsession de Washington dans la région, c’est la stabilité et le pétrole. Et la traduction de cette obsession, c’est la recherche d’alliés disposant d’une assise populaire.
Pourquoi l’intervention de l’OTAN a été possible en Libye et pas en Syrie?
En Syrie, on se trouve face à un risque de chaos à la libyenne, mais dans un environnement régional bien plus dangereux. Il y a aussi le soutien de la Russie et de l’Iran. Dès le début, l’OTAN a dit qu’elle ne voulait pas intervenir. La question n’est pas : «Pourquoi l’Occident n’intervient pas en Syrie», mais : «Pourquoi empêche-t-il les livraisons d’armes à la rébellion?». La raison profonde est la peur du mouvement populaire en Syrie. Et le résultat, c’est le pourrissement de la situation. Le régime syrien finira par tomber, mais à quel prix? La myopie des gouvernements occidentaux est hallucinante: sous prétexte de ne pas reproduire les erreurs commises en Irak, à savoir le démantèlement de l’Etat baasiste, ils font pire. Aujourd’hui, les Syriens sont persuadés que l’Occident laisse leur pays s’autodétruire à dessein afin de protéger Israël.
La gauche anti-impérialiste voit un complot américain dans ces révolutions…
Ce n’est pas parce que des insurrections populaires sont soutenues, par opportunisme, par des puissances impérialistes que cela justifie le soutien à des dictatures. La théorie du complot américain est grotesque. Il suffit de constater l’embarras de Washington. Evidemment qu’après quarante ans de totalitarisme c’est le chaos. Comme Locke, je préfère le chaos au despotisme, parce que dans le chaos j’ai le choix.

Entretien avec Gilbert Achcar conduit par Christophe Ayad. Publié sur le site Alencontre
 
[1] Entretien publié dans Le Monde. Culture et Idées, 21 février 2013.
[2] Voir Allah n’y est pour rien! Sur les révolutions arabes et quelques autres, Ed. Le Publieur, juin 2011.

Références bibliographiquesGilbert Achcar, Le Peuple veut. Une exploration radicale du soulèvement arabe, Actes Sud, Sindbad, 448 p.
Jean-Pierre Filiu, Le Nouveau Moyen-Orient.Les Peuples à l’heure de la révolution syrienne, Fayard, 408 p.

23 février 2013

Cordoue: le dialogue des civilisations



Dès que j ' a i été convaincu de l'universalité de l'Islam, j ' a i
rêvé d'en faire renaître le message spirituel en Occident. Le
dégager de la gangue des traditions particulières et du folklore
du Proche-Orient, qui l'empêche de susciter en Europe un
réveil de la foi.
Cordoue, pendant la période musulmane de l'histoire espagnole,
fut la plus grande ville de l'Europe, quand Paris et
Londres n'étaient que des bourgades. Elle fut le centre de
rayonnement de la culture.
Il m'apparaît que ma tâche est d'aider les Européens à
prendre conscience de cette troisième source de leur civilisation
: avec la judéo-chrétienne, et la gréco-romaine, la source
arabo-islamique.
Dès ma première visite à la mosquée de Cordoue, qui reste,
après dix siècles, la plus vaste et l'une des plus belles du monde,
j'éprouve le sentiment physique, vécu, de cette spiritualité
inscrite dans la pierre.
A Chartres, à Reims, à Notre-Dame de Paris, l'espace
appelle, par l'élévation de ses voûtes mystérieuses, l'angoisse de
l'infini.
Ici, un espace horizontal, et non vertical, par la répétition
rythmique des colonnes, inspire à l'homme l'assurance d'un
monde transparent à sa pensée.
Dans son langage de pierre, cette mosquée résume le message
d'une civilisation : une manière d'exister, c'est-à-dire de penser,
d'aimer, d'agir.
Chaque élément de l'architecture est porteur de parole et de
symbole, comme un poème. Les arcs superposés pour élever
le plafond font songer à un aqueduc romain. Mais le bâtisseur
romain a respecté la logique de la pesanteur, sa prose;
ici ce rapport naturel est inversé : le plus grand poids est en
haut.
Le maître d'oeuvre ordonne ainsi sa technique à une
mystique : ces arcades puissantes, soulevées par une structure
inférieure si gracile, nous donnent l'impression physique d'une
respiration plus large, d'une élévation et d'une expansion.
Cette sensation est renforcée par l'ordonnance des arcs : les
arcs supérieurs sont de plein cintre, les inférieurs sont outrepassés
: un cercle se dilate, comme un ballon qui se gonflerait
dans son ascension.
En retour, le volume des superstructures et l'amincissement
des colonnes porteuses suggère le déferlement d'une cascade où
la puissance du torrent, en haut, se divise et s'amenuise en filets
d'eau de plus en plus ténus en venant vers nous.
De Dieu tout vient, à Dieu tout retourne. Diastole et systole
du coeur musulman.
L a symphonie des arcs de toutes courbures, déroulant les
vaguelettes de leurs festons, le contrepoint des chapiteaux de
tous les styles, faisant courir, au sommet des colonnes, l a ronde
de leurs acanthes ou de leur lotus, de toutes les géométries et de
toutes les flores, qui ne peuvent naître que dans la terre des
songes, toute cette architecture devient entrelacs et arabesques
nous entraînant dans un mouvement sans fin, en une lumière
semblable à celle des profondeurs de la mer.
A chaque pas, toute chose est tirée des ténèbres et du néant,
la pierre est transmutée en lumière, la musique devient visible.
L a forêt enchantée des colonnes de marbre bleues et roses et
la frondaison des arcatures où alternent la brique et la pierre,
ont, près de nos yeux, des rutilances d'aurore, pour passer, au
loin, à la dominante bleue de la nuit. U n envol d'arcs en ciel
balisant l'infini.
Comment traduire en d'autres langages ce message? Comment
imaginer, après avoir entendu l'appel d'un art si profondément
habité par Dieu, que la période musulmane puisse être
effacée de l'histoire de l'Espagne et de l'Europe, et que pendant
des siècles, i l ne s'est passé rien d'autre ici qu'une croisade de
reconquête ? Comment même croire à la légende officielle d'une
invasion militaire de douze mille cavaliers de l'Apocalypse
submergeant les d ix millions d'habitants de la péninsule?
J'entreprends une révision critique des thèses officielles.
Aucun témoin oculaire, aucun texte contemporain de « l'invasion
» : toutes les sources sont très postérieures et projettent sur
le passé les invasions des almoravides et des almohades. Aucun
apologète chrétien ne polémique contre l'Islam avant le milieu
du i x e siècle, le confondant sans doute avec l'arianisme.
Ce qui arrive en Espagne, au début du 20e siècle, ce ne sont
pas les Arabes, mais l'Islam. Après une petite bataille, où
l'évêque de Séville, Oppas, se range aux côtés des Berbères,
l'Islam se répand comme un feu de prairie. Sans combat.
Comme en Orient, ce n'est pas une conquête militaire, mais
une révolution culturelle et une révolution sociale : contre les
féodaux, la terre est donnée aux paysans ; les hérésies ne sont
plus traquées : la synagogue du j u i f et l'église du chrétien
demeurent ouvertes.
De cette symbiose des trois cultures est née la floraison de
Cordoue.
Le maire, Anguita, acquis à mon projet de faire revivre ce
passé pour éclairer l'avenir, m'offre d'installer notre centre à la
tour Calahorra, forteresse au bord du Guadalquivir.
Son successeur nous cède la tour pour quarante-neuf ans, à
charge d'y aménager cette évocation de l'apogée de Cordoue.
Alors pour moi commence la merveilleuse aventure de la
réalisation d'un rêve.
Pour marquer le caractère de notre entreprise, je décide
d'inaugurer la Calahorra, le 12 février 1987, par un « Colloque
abrahamique » rassemblant, comme dans la Cordoue califale,
juifs, chrétiens et musulmans.
Il est présidé conjointement par dom Helder Camara et par
le directeur musulman de l ' U . N . E . S . C . O . : Amadou Mahtar
M'Bow. I l s'ouvre sur un message de Yehudi Menuhin.
Nous excluons toute polémique religieuse entre les trois
grandes familles abrahamiques pour nous concentrer sur ce que
chrétiens, juifs et musulmans pourraient faire ensemble :
contribuer à l'unité du monde.
Les propositions qui émergent du colloque sont significatives;
dom Helder et M . M ' B ow suggèrent conjointement la
suppression du droit de veto des « grands » aux Nations unies,
vestige du colonialisme, et l'abolition des dettes du Tiersmonde.
Le père Lelong (un père blanc) qui fut, avec le rabbin
Elmer Berger et moi-même, l'un des trois invitants du colloque,
rappelle que l'éducation religieuse doit avoir pour objet non
seulement d'enraciner l'enfant dans sa propre tradition, mais
de lui faire connaître (et donc aimer) celle des autres.
Ces démarches caractéristiques définissent l'esprit dans
lequel nous créons les évocations de la Calahorra, dont le nom
arabe signifie : « Forteresse de la liberté ».
Roger Bacon, pionnier en Europe de la méthode expérimentale
et mathématique, l'a apprise à Cordoue et dans L'Optique
d'Ibn Hayttham. A Cordoue est née la science moderne, et nos
salles y montrent le haut niveau de sa médecine, de son
astronomie, de ses techniques hydrauliques.
Cette science n'était pas séparée d'une sagesse, d'une
réflexion sur les fins de la science, ni d'une foi consciente des
postulats de cette science.
Dans la Calahorra, les grands penseurs de L’Andalous :
Averroès, Maïmonide, Ibn A r a b i , et le roi catholique Alphonse
le Sage, en figures de cire, délivrent, chacun à partir de sa
propre foi, le message, si profondément actuel, d'une sagesse
qui doit orienter les pouvoirs de la science vers les fins
humaines et divines.
Alphonse le Sage fait retentir, dans les voûtes de l a Calahorra,
l ' un de ses cantiques :
ô mon Christ
qui pouvez accueillir
le chrétien, le juif, le maure,
pourvu que leur f oi
se dirige vers Dieu.
Nous suggérons, en multivision, une histoire écrite du point
de vue, non des vainqueurs mais des vaincus, montrant le rôle
des cultures non occidentales dans l'humanisation de l'homme.
Devant la maquette géante de la mosquée de Cordoue,
recréée dans la splendeur originelle de ses neuf cents colonnes,
j'ai vu une religieuse prier, et dire louange à Dieu, en ce lieu où
la mosquée, devenue cathédrale, est habitée, depuis mille ans,
par le même Dieu.
J ' a i ordonné toutes les évocations scientifiques, artistiques et
religieuses, dans la Calahorra, de manière à rendre directement,
physiquement saisissable, cette vérité à faire vivre
aujourd'hui : une véritable Renaissance de l'Europe, à la
différence de celle qui se déploie contre Dieu au XVIe siècle,
pouvait naître ici, au XIIIe siècle, avec Dieu et non contre Lui.
Lorsque, de la meurtrière de mon bureau, dans la tour
Calahorra, je vois couler, comme un fleuve de vie, les eaux
dorées du Guadalquivir, je pense, avec allégresse, que j ' ai
pu réaliser là, de manière inattendue, le plus vieux de mes
rêves.
Devant ce pont romain de la V i a Augusta, que foulèrent si
souvent les pas écrasants des légions des Césars, la tour
Calahorra, « pont entre l'Orient et l'Occident » , symbolise la
vocation de toute ma vie, celle du «Jean Christophe» de
Romain Rolland : « Charrier, comme une artère, toutes les
forces de vie de l'une à l'autre rive. »
En la vie d'un seul, peut ainsi retentir le mouvement entier
du monde et s'en révéler le sens.


ROGER GARAUDY
MON TOUR DU SIÈCLE EN SOLITAIRE
Mémoires  ÉDITIONS ROBERT LAFFONT, pages 408 à 413

11 février 2013

Le dénominateur commun des intégrismes islamiques



LA S H A R I ' A CONFONDUE AVEC

LE F I QH

Quel est le dénominateur commun des
variantes actuelles de l'intégrisme qui, toutes,
sont inspirées par trois « modèles » : les Frères
musulmans dans leur deuxième version, c'est-àdire
après leur modelage intégriste en Saoudie,
la « communauté islamique » de Mawdoudi au
Pakistan, répandue par les princes saoudiens
dans le monde, et la « révolution islamique »
d'Iran?

04 février 2013

Bibliographie, suite


Voici l'essentiel d' une liste d'écrits de Roger Garaudy tels que présentés sur le site de l'ABES (Agence Bibliographique de l'Enseignement Supérieur) qui complète ou précise la page "Biblio" du blogue.

02 février 2013

Démocratie musulmane

Pour une démocratie musulmane

Par Brahim YOUNESSI 
     Comme d’autres sociétés avant elle, au cours des deux siècles précédents, l’Algérie rencontre des difficultés à passer d’une société d’autorité à une société de libertés. Durant cette transition apparaissent, dans la plupart des cas, des mouvements militant pour une société de vérité. Cette dernière quête est portée, chez nous, par un islamisme intransigeant qui tient, sur le plan dogmatique, du jansénisme que l’Europe chrétienne a connu aux XVIIe et XVIIIe siècles. Aussi bien l’un que l’autre privilégient l’initiative divine face à la liberté humaine. Mais si l’islamisme intransigeant a trouvé un terrain favorable dans les couches les plus démunies des sociétés musulmanes, le jansénisme s’est développé dans la bourgeoisie européenne. Blaise Pascal, entre autres, a pris le parti des jansénistes et en a fait l’apologie dans « Les Provinciales ». Cette question de la prédestination et du libre arbitre, qui se pose derrière les querelles politiques, est certainement l’une des questions religieuses qui a donné lieu aux plus grandes controverses théologiques et philosophiques. Très tôt, dès le milieu du deuxième siècle hégirien (VIIIe siècle chrétien), la théologie spéculative musulmane fondait son système philosophique sur le qadar qui signifie pouvoir de l’homme de produire ses actes et d’en être responsable.      
     Cette position avait trouvé des partisans jusque dans le royaume rostémide de Tahert (aujourd’hui Tiaret). La doctrine du libre arbitre se trouvait déjà chez les khârijites dans leur théorie de la justice divine. Ils défendaient aussi le droit pour les croyants de choisir leurs chefs. L’hérésiologie musulmane qui les présente comme une secte rigoriste et intransigeante, leur reconnaît, cependant, un certain esprit démocratique. Il semble, d’après Abdurrahmân Badawi, que Ali Ibn Abî Tâlib considérait la liberté de l’homme comme « un Etat intermédiaire entre le déterminisme et le tafwîd ». Le tafwîd étant le pouvoir accordé par Dieu à l’homme d’agir et de choisir par une sorte de mandat ou de délégation de pouvoir qu’Il lui donne sur ses propres actes. Le fondateur du Ilm el kalam mu’tazilite, Wâsil B. Ata, affirmait, selon al-Sharastâni dans son Kitab Al milal wa al nihal, que l’homme était libre dans ses actes et en était le créateur. Vision que contestaient les Jabriyya appelés aussi Jahmiyya à cause de Jahm B. Safwân qui défendait la thèse du déterminisme, bien que de très nombreux versets coraniques reconnaissent à l’homme le droit d’exercer sa liberté, à la condition que celle-ci ne devienne pas un absolu. Je crois que c’est Bossuet qui disait que « par l’appât de la liberté absolue, le mal est entré dans le monde ». Suivant ce qui précède, aucun doute n’est permis sur les faveurs de l’Islam pour une position médiane entre le radicalisme libéral et le mythe d’un fatalisme musulman. Al Shahrastâni rapporte dans Al Milal que Abû Ali Al Jubbâi et son fils Abû Hâshim qui ont dominé la pensée mu’tazilite soutiennent, à la suite de Wâsil B. Ata, que « l’acte volontaire émane de l’homme, il lui est propre ; l’homme le créé ». Une polémique fameuse a opposé sunnites et mu’tazilites sur ce sujet. Les mu’tazilites qui font la différence entre « les actes libres » et « les actes engendrés », ont conscience que la liberté fait de l’homme une personne.     
     D’un point de vue ontologique, la personne se définit dans les conceptions musulmane et chrétienne comme une synthèse entre sa constitution biologique et sa vie spirituelle. Le philosophe marocain, Mohammed Aziz Lahbabi, précise que « la constitution biologique que donne le Coran pourrait aussi bien s’appliquer à d’autres animaux que l’être humain s’il n’y avait intervention de l’âme ». Sa conception de la shakhçânyya musulmane rejoint la conception chrétienne du personnalisme. De son côté, le marxisme qui s’inscrit dans la pure tradition matérialiste d’Héraclite jusqu’à Spinoza, a toujours considéré la personne humaine comme faisant partie de la nature. Roger Garaudy a tenté de modérer cette opinion dans son opuscule « Le marxisme et la personne humaine », mettant le mouvement dialectique au centre de sa philosophie. S’appuyant sur la 2e thèse sur Feuerbach de Karl Marx : « Il ne s’agit pas d’interpréter le monde, mais de le transformer », Roger Garaudy qui s’est converti, depuis, à l’Islam, écrit, à ce propos, que « le rapport actif entre l’homme et la nature transforme radicalement l’ancien matérialisme ». Le clivage entre le marxisme et la philosophie de la personne se situe plus précisément dans les valeurs de la liberté humaine, qui ne sont pas le produit du seul monde chrétien.  
     L’Islam et les musulmans y ont apporté une contribution plus que significative sur le plan théorique et de la pratique sociale. Al Fârabi qui a fondé la philosophie politique musulmane parle de la « politique civile » dans un sens presque moderne, faisant dans sa Al-Siyâsât al-madanyyah, la distinction entre les cités vertueuses et les cités perverses. De tous les philosophes péripatéticiens, Al Fârâbi est certainement le plus aristotélicien, ce qui lui a valu le surnom de Magister secundus. Il dénonce « la cité de la domination » comme une société fondée sur la force brutale et la coercition ; elle soumet les hommes et leur enlève toute liberté d’action. Dans un travail remarquable sur « La cité vertueuse », Muhsin Mahdi, professeur émérite de l’université de Harvard, souligne que « Al Fârâbi pose, conformément à la description de Platon dans La République, le premier principe de la démocratie (…) comme étant liberté, et il appelle également le régime démocratique, régime libre. (…) L’autorité ne se justifie qu’en vue de la préservation et de la promotion de la liberté et de l’égalité… Le souverain ne gouverne que par la volonté des citoyens ». Dans le système musulman, la liberté se pose comme un principe essentiel de la vie alors que l’égalité et la justice constituent les deux piliers sur lesquels repose la société musulmane