Il
n'est pas facile de définir un homme tel que Roger Garaudy
tant le personnage
possède
de facettes1. Il est vrai qu'il s'est produit en
ce siècle plus de changement
qu'en
cinq mille ans d'histoire écrite. Que peut-on donc dire d'un
homme qui non
seulement
a eu la chance d'assister à ces prodigieuses mutations, mais qui
de surcroît
en a été
pleinement acteur? De son propre aveu, la grande affaire de sa vie fut d'en
trouver
le sens et celui de l'histoire...2
Roger
Garaudy est né à l'aube de la première
guerre mondiale (le 17 Juillet
1913)
d'une mère ouvrière
modiste et d'un père employé
comptable. Son père étant
revenu
mutilé de la guerre 14-18, il fut boursier,
pupille de la nation pendant toute sa
scolarité.
Il fait ses études au lycée
de Marseille, au lycée Henry IV de Paris puis à
la
faculté
de lettres d'Aix et celle de Strasbourg.
Roger
Garaudy a 20 ans lorsque Hitler devint chancelier. Ses années
de
jeunesse
furent marquées par les convulsions d'un monde au
prise entre les
bouleversements
économiques et les déchirements
politiques. L'année 1933 est donc
pour
lui l'année des grands engagements : c'est en
tant que chrétien qu'il demande
son
adhésion au parti communiste français.
En
1936, il obtient son agrégation de philosophie. De là,
il part pour Albi où
l'attend
un poste de professeur, l'année suivante il est élu
membre du bureau fédéral
de la
fédération communiste du Tarn. De ces années
d'immédiat avant guerre deux
rencontres
marquèrent sa vie:
- A
Noailles, il est présenté
à Maurice Thorez, alors secrétaire
général du parti
communiste
français. Cette rencontre jouera un rôle
décisif dans l'engagement
politique
de Roger Garaudy car ce dernier ne cessera d'être
un ami et un conseiller
critique,
lui permettant de déjouer le pièges
des hautes responsabilités politiques.
- Au
printemps 1939 il adresse à Romain Rolland son premier essai littéraire,
Le
premier jour de ma vie (roman
d'amour entre une mystique et un militant). Une
réponse
de 8 pages3 l'exhortant
à poursuivre l'oeuvre de Christophe en
"reliant les
grandes
forces de vie" préfaça
à jamais la mission dont que s'attribua
Roger Garaudy.
Lorsque
la guerre éclate, Roger Garaudy est versé
dans une division d'infanterie
nord-africaine
en raison de son lourd dossier de R.P (Propagandiste révolutionnaire).
Il
gagnera
une croix de guerre et deux citations sur le front. Le 14 septembre 1940, il
est
arrêté pour avoir tenté
de reconstituer clandestinement le parti communiste. Sur le
procès
verbal d'arrestation était inscrit :"individu dangereux
pour la défense nationale
et la
sécurité
publique".
Roger
Garaudy passera 33 mois en déportation. Cette expérience
de la mort
restera
fondamentale pour son existence car elle lui permettra de mettre sa vie en
perspective.
La transcendance du vécu donnera désormais
une profondeur toute autre
à
l'oeuvre de ce philosophe. Durant ces mois de geôle,
il donnera des cours sur les
prophètes
à un auditoire hétéroclite,
souvent ouvrier et généralement athée.
Libéré
le 16 juin 1943, Roger Garaudy sera pour 2 mois rédacteur
en chef du
journal
parlé de Radio-France [A Alger, NDLR]. Il
en sera renvoyé pour avoir dénoncé
les lenteurs de l'ouverture
d'un second front. Il prend alors un poste de professeur au lycée
Delacroix qu'il
quitte très vite à
la demande d'André Marty (dirigeant de la délégation
du PCF en Algérie)
dont il devient le proche collaborateur. Il devient aussi pour une année,
directeur
du plus grand hebdomadaire d'alors, Liberté.
En octobre 1944 Roger
Garaudy
rentre clandestinement en France.
Dès
la libération il devient permanent du Parti
Communiste. Responsable
communiste,
il sera élu député
du Tarn en 1945 et restera parlementaire jusqu'en
1962.
Durant cette période il restera un communiste
militant et s'illustrera dans des
actions
telles que la résurrection de la verrerie ouvrière
d'AIbi en 1946, ou la grève des
mineurs
de Carnaux en 1948. La même année,
après des recherches approfondies
dans
les archives vaticanes, il publie un reportage critique sur la hiérarchie
catholique.
En
1949 il parcourt 14 pays d'Amérique Latine. Parti en compagnie de
Paul
Eluard4, il se fera dans ces pays des amitiés
précieuses dont Pablo Neruda ou le
général
Cardenas. A son retour Roger Garaudy publie un reportage réquisitoire
contre
l'exploitation
et l'oppression de l'Amérique Latine.
De
1951 à 1955, Roger Garaudy est en Vacance
parlementaire en raison de la
nouvelle
loi électorale. Ces années
sont mises à profit pour soutenir le 25 juin 1953,
sous
la présidence de Gaston Bachelard, une thèse
ayant pour thème la théorie
de la
connaissance
chez Helvétius. La même
année, il part pour l'U.R.S.S. en tant que
correspondant
du journal l'Humanité.
Il met à
profit cette année non seulement pour
parcourir
le pays, mais aussi pour préparer un nouveau doctorat ayant pour
thème la
liberté.
Cette thèse, soutenue le 5 juillet 1954 devant
l'institut de philosophie de
l'académie
des sciences de l'U.R.S.S., lui vaut d'être le premier Français
reçu docteur
es
sciences [en URSS, précision ajoutée
par RG].
Dès
1955 Roger Garaudy reprend, jusqu'en 1962, sa place dans l'hémicycle
de
l'assemblée
nationale. Il sera d'ailleurs vice-président5
de cette assemblée de 1956 à
1958.
C'est à cette même
époque qu'il prend conscience de la
possibilité d'un dialogue
entre
les grands courants de la pensée contemporaine. Cette nouvelle espérance
le
conduit
à écrire Perspective de l'homme en
1959. Dès cet instant des dialogues
prennent
place entre catholique, Marxistes et existentialistes. Pendant près
de dix
années
Roger Garaudy sera un des principaux acteurs des débats
qui eurent lieu
entre
théologiens chrétiens
et philosophes Marxistes. Dans cet esprit il crée
en 1960
le
Centre d'Etude et de Recherche Marxiste (CERM); Centre qu'il présidera
pendant
dix
ans. Et il organise dans le même sens les semaines de la pensée
Marxiste.
1962
marque la fin de la carrière parlementaire de Roger Garaudy. Elu
sénateur
en
1960, il quittera ses fonctions dès 1962 parce qu'il s'ennuie. Il
qualifiera d'ailleurs lui
même
ces quatorze années "d'années
perdues au parlement". Libéré de ses mandats
politiques
Roger Garaudy poursuit sa carrière d'universitaire et d'intellectuel
engagé.
En
1965 il publie De
l'anathème au dialogue, petit livre qui sera pour tous le
livre clé du
dialogue
entre chrétiens et marxistes.
L'année
68 qui fut l'année des folles espérances
pour des milliers de personnes,
fut
l'année où
les rêves communistes de Roger Garaudy se
brisèrent. Lors du coup de
Prague
l'année suivante, le divorce entre Roger
Garaudy et les hautes sphères
dirigeantes
du parti se consomme lorsqu'il condamne l'intervention des troupes
soviétiques
en Tchécoslovaquie. Un blâme
public est publié contre lui dans
l'Humanité.
Le 6 février
1970, lors du dix-neuvième congrès
du PCF Roger Garaudy résume
ses thèses
entérinant ainsi la rupture avec les
instances dirigeantes de parti. Il est
aussitôt
dessaisi de toutes ses responsabilités (Bureau politique dont il était
membre
depuis
12 ans, comité central où
il avait été élu dès
1945, ainsi que le CERM dont il
était
le fondateur), après la publication d'un livre blanc {Toute la vérité) où
il fait le bilan
de son
rôle dans le parti depuis 1960, il est définitivement
exclu du parti.
Roger
Garaudy se consacre alors pleinement à l'enseignement. Il donne ainsi
jusqu'à
sa retraite des cours d'histoire de la philosophie et de théologie
à la faculté
Arago
de Paris ainsi que des cours d'esthétique à
Poitiers. Il s'intéresse de plus en
plus à
l'art qu'il définit comme le "langage du sacré".
Il publiera plusieurs études sur la
peinture,
la sculpture, la poésie, l'architecture et la danse dont Danser sa vie en
1973.
Dans
le même temps, il s'initie à
la pensée africaine et conçoit,
écrit et réalise
un long
métrage
{Dyonisos
noir) où il dégage
l'apport des cultures africaines à la civilisation
universelle.
Les voyages continuent et il pénètre les mystères
de l'Asie en passant par
la
Chine et le Japon.
1979
marque un nouveau tournant dans l'existence de Roger Garaudy. C'est
l'année
où il lance son Appel aux vivants. Plus
qu'un best-seller (190 000 exemplaires
seront
vendus) ce livre est un véritable projet politique pour offrir
un avenir humain à
l'homme.
Et, deux années avant l'échéance
présidentielle, il annonce sa candidature
à
cette élection.
Les
années 80 marquent aussi la rupture avec
la pensée purement occidentale.
Depuis
plusieurs années déjà
Roger Garaudy percevait dans le Coran la continuité
des
messages de la Torah et des Evangiles. A ce sujet, il publiait en 1981 Promesse de
l'Islam où
il expliquait ce qu'était pour lui le message du Prophète.
Le 2 juillet 1982,
une
nouvelle page se tourne : Roger Garaudy se convertit à
la foi Musulmane. Depuis
ce
jour il n'a de cesse que d'en dénoncer les interprétations
erronées qui ont cours à
notre Époque.
Les voyages prennent la direction des terres d'Islam : Jordanie, Liban,
Iran,
Irak, Turquie, Malaisie etc…
) * ..
En
1983 Roger Garaudy publie l'affaire
Israël (suivie par Palestine terre des
messages divins) où,
s'appuyant sur des documents incontestés, i! établit
la non
légitimité
historique des revendications israéliennes pour la possession de la terre
de
Palestine.
La publication de ces ouvrages signera son arrêt
de mort médiatique en
France.
En
1984, la mairie de Cordoue offrira la Tour Calahorra à
Roger Garaudy afin qu'il
y crée
un musée consacré
à l'apport de la culture musulmane en
Espagne. Ce musée
dont
il est encore à l'heure actuelle président
d'honneur reçoit plus de cent mille
visiteurs
par an.
En
1989 il publie ses mémoires sous le titre évocateur
de "Mon
tour du siècle en
solitaire". Trois
années plus tard Roger Garaudy dresse un
bilan de notre société
actuelle
dans deux livres, les
Fossoyeurs et Intégrismes, où
il met en lumière les grands
dangers
qui menacent l'avenir humain.
Son
dernier livre, Avons
nous besoin de Dieu? replace Roger Garaudy sur l'avant-scène
des
intellectuels. Malgré les réticences
de la hiérarchie catholique, sa
démonstration
sur Saint-Paul est approuvée par les plus grands théologiens
[« de grands théologiens »,
rectifie RG]. De même cette question fondamentale,
"Avons nous besoin de Dieu?", relance le débat
entre la politique et la théologie.
Actuellement
deux livres sont en préparation. L'un {Souviens-toi) consacré
à
l'URSS
[du temps de sa splendeur va sortir ces jours-ci]; l'autre (Le débat du siècle)
poursuivra les pistes lancées
par Avons nous
besoin de Dieu?.
A. Z
Juin 1995
[Archives de RG]