ULB (Université Libre de Bruxelles) : un sabotage
par Henri GOLDMAN
rédacteur en chef de Politique.
Non, ce n’est pas celui auquel vous pensez. Celui-ci est une vieille histoire, qui remonte au 5 novembre... 1968. Ce jour-là, les Étudiants communistes de l’ULB avaient invité à leur tribune le philosophe Roger Garaudy, alors membre du Bureau politique du Parti communiste français. Sa conférence devait porter sur les évènements de mai en France. Quelques jours avant, des groupes d’étudiants, dont certains se réclamaient du marxisme-léninisme, annoncèrent leur intention d’empêcher Garaudy de prendre la parole. Différents prétextes furent invoqués : l’attitude du PCF pendant la révolte étudiante qui le disqualifiait pour en parler, mais aussi le caractère non démocratique et dépassé d’une conférence ex cathedra où un orateur sans contradicteur s’exprimerait devant un public largement acquis à ses vues.
La conférence fut effectivement perturbée et ne put se tenir. La jeune revue Mai, dont la figure de proue était le professeur Marcel Liebman, n’accepta pas l’argumentation des chahuteurs : « Il y a quelque ironie à vouloir faire taire le “stalinien” Garaudy quand on s’associe dans cette entreprise de sabotage à des “marxistes-léninistes” qui ont un passé, mais aussi un présent stalinien (et cette fois sans guillemets) ; et qu’on recourt en outre à des méthodes que des nervis staliniens ne renieraient pas ». Quant à la formule de la conférence suivie d’un débat avec la salle, « elle ne représente certainement pas l’idéal en ce qui concerne la libre expression d’idées et la communication intellectuelle ». Mais « croit-on que la discussion pouvait être plus sérieuse et plus fertile si on ôtait pratiquement toute possibilité à l’orateur d’exposer ses points de vue en limitant son temps de parole à cinq ou dix minutes, en créant au surplus un climat d’invectives et de violence ? »
Et de conclure, avec un vocabulaire propre à l’époque : « La contestation était et demeure volonté de libération intellectuelle. Elle n’a rien en commun avec l’hystérie adroitement suscitée et démagogiquement entretenue. La contestation était et demeure volonté de lutter contre le capitalisme et le conservatisme. Les procédés des chahuteurs du 5 novembre ne déforcent ni le capitalisme, ni le conservatisme (...). Les victimes – si victime il y a – ne peuvent qu’être ceux qui tentent d’impulser à l’Université et en dehors d’elle la lutte pour le socialisme. Quant aux bénéficiaires de ces actions de sabotage, ils ne sont ni hypothétiques ni imaginaires. Il y avait, l’autre soir, dans l’auditoire Janson, un groupe d’étudiants d’extrême droite dont la joie était évidente. La besogne qui est généralement la leur avait été faite par d’autres qu’eux-mêmes ».
Bien sûr, ceci n’éliminera pas la violence symbolique de certains discours dont abusent ceux qui disposent d’un monopole de la parole légitime. Il s’agit alors de mettre à nu cette violence feutrée pour ébranler le consensus dont elle peut se prévaloir et de choisir les formes d’action susceptibles d’atteindre cet objectif. À lire les propos aux fausses allures consensuelles qui expriment aujourd’hui la pensée dominante, n’est-ce pas exactement le même défi auquel est confronté le mouvement social quand il s’oppose aux politiques d’austérité ?
La conférence fut effectivement perturbée et ne put se tenir. La jeune revue Mai, dont la figure de proue était le professeur Marcel Liebman, n’accepta pas l’argumentation des chahuteurs : « Il y a quelque ironie à vouloir faire taire le “stalinien” Garaudy quand on s’associe dans cette entreprise de sabotage à des “marxistes-léninistes” qui ont un passé, mais aussi un présent stalinien (et cette fois sans guillemets) ; et qu’on recourt en outre à des méthodes que des nervis staliniens ne renieraient pas ». Quant à la formule de la conférence suivie d’un débat avec la salle, « elle ne représente certainement pas l’idéal en ce qui concerne la libre expression d’idées et la communication intellectuelle ». Mais « croit-on que la discussion pouvait être plus sérieuse et plus fertile si on ôtait pratiquement toute possibilité à l’orateur d’exposer ses points de vue en limitant son temps de parole à cinq ou dix minutes, en créant au surplus un climat d’invectives et de violence ? »
Et de conclure, avec un vocabulaire propre à l’époque : « La contestation était et demeure volonté de libération intellectuelle. Elle n’a rien en commun avec l’hystérie adroitement suscitée et démagogiquement entretenue. La contestation était et demeure volonté de lutter contre le capitalisme et le conservatisme. Les procédés des chahuteurs du 5 novembre ne déforcent ni le capitalisme, ni le conservatisme (...). Les victimes – si victime il y a – ne peuvent qu’être ceux qui tentent d’impulser à l’Université et en dehors d’elle la lutte pour le socialisme. Quant aux bénéficiaires de ces actions de sabotage, ils ne sont ni hypothétiques ni imaginaires. Il y avait, l’autre soir, dans l’auditoire Janson, un groupe d’étudiants d’extrême droite dont la joie était évidente. La besogne qui est généralement la leur avait été faite par d’autres qu’eux-mêmes ».
Des valeurs supérieures ?
Comparaison n’est surement pas raison. Mais il y a au moins une constante aux diverses entorses à la liberté d’expression dans le cadre de l’ULB, que celles-ci procèdent des autorités académiques (l’interdiction de parole faite à Tariq Ramadan en avril 2007) ou d’une fraction de l’assistance, comme en 1968 ou lors de la soirée du mardi 7 février [2012, ndlr] où devait intervenir Caroline Fourest : la négation d’un droit à la parole libre au nom de valeurs décrétées supérieures (comme la défense de la laïcité contre l’obscurantisme religieux ou la lutte contre l’islamophobie) dont on s’estime le légitime dépositaire. À nos yeux, le respect sourcilleux de la liberté d’expression n’est pas une variable tactique dans la lutte idéologique sur laquelle on pourrait s’asseoir au gré des circonstances, mais une condition de la possibilité d’une telle lutte, à revendiquer et à protéger en permanence.Bien sûr, ceci n’éliminera pas la violence symbolique de certains discours dont abusent ceux qui disposent d’un monopole de la parole légitime. Il s’agit alors de mettre à nu cette violence feutrée pour ébranler le consensus dont elle peut se prévaloir et de choisir les formes d’action susceptibles d’atteindre cet objectif. À lire les propos aux fausses allures consensuelles qui expriment aujourd’hui la pensée dominante, n’est-ce pas exactement le même défi auquel est confronté le mouvement social quand il s’oppose aux politiques d’austérité ?