L’humanité face à son destin
Au moment où certains hommes lucides s’inquiètent pour l’avenir de la planète bleue, se succèdent les guerres du diamant noir et s’accélère, en même temps, la course au développement dans le Tiers-Monde. Mais pendant combien de temps la terre supportera cette frénésie faustienne ? Cette question est d’une brûlante actualité pour les écologistes mais elle n’est pas l’apanage d’un groupe. Il serait d’ailleurs intéressant de revisiter de temps en temps certains philosophes, même infréquentables, comme Roger Garaudy. Ce philosophe français contemporain met l’accent, depuis les années 1970, sur la nécessité pour l’homme moderne de muter pour être en phase avec les nouvelles exigences du monde. Le concept de mutant est novateur et touche même le cœur de la question de l’avenir de l’humanité et de la planète Terre.
Pour Garaudy, la survie de l’humanité dépend absolument de l’avènement d’un nouvel homme. L’aventure humaine est arrivée à la fin d’un cycle ; elle a été précipitée dans des voies sans issue par l’économie, la finance et l’industrie modernes. Il faut peut-être rappeler que Garaudy est un spécialiste de la philosophie de l’histoire dont les recherches sont axées sur Marx mais surtout sur la notion occidentale de progrès qu’il remet en cause et écarte au profit du concept d’entropie. En effet, selon Garaudy, si nous en sommes à ce stade, c’est parce que le monde occidental est guidé par le postulat de Faust selon lequel l’homme doit devenir tout puissant, prendre la place de Dieu et régir le monde. L’idée de progrès véhiculée, comme loi de l’histoire, est un leurre car le monde est, en réalité, régi par la loi de l’entropie.
Ce terme a été forgé en 1865 par le physicien allemand Clausius qui, après les travaux de Sadi Carnot sur la puissance motrice du feu, a découvert le second principe de la thermodynamique selon lequel la transformation de l’énergie provoque en même temps sa dégradation. Cela se traduit par une croissance du désordre. C’est cette non disponibilité de l’énergie une fois transformée qui est appelée entropie. De la même manière, la planète Terre se trouve piégée parce que son énergie est dilapidée par l’Occident, le promoteur des progrès techniques et de l’industrie à grande échelle. D’après Garaudy, c’est ce même principe qui régit le monde dans sa globalité ; il a fallu des années avant qu’on se rende compte des dangers qui guettent la planète bleue. Il écrit :
« Tant que l’entropie demeurait seulement une loi physique prédisant l’épuisement du soleil dans quatre milliards d’années, et la mort de notre planète dans quelques millions d’années, au regard de l’histoire humaine l’entropie était négligeable (…) Il apparut qu’à l’échelle présente du pouvoir humain, notre modèle de croissance accélérait vertigineusement l’entropie, que l’entropie n’était plus seulement une loi physique, une loi de la longue histoire des choses, mais aussi une loi économique, une loi de la courte histoire des hommes (…)… Parlons franc : le modèle de croissance défini par une augmentation quantitative sans fin de la production et de la consommation, ce modèle de croissance engendré par le modèle faustien de la culture occidentale depuis la Renaissance, conduit aujourd’hui à un suicide planétaire. Nos économistes, nos politiciens, nos futurologues positivistes continuent à tenir le langage des premières ivresses de l’industrialisation, celui du XVIIIe siècle, et des « lumières », celui de Marx ou celui de l’optimisme libéral comme si la loi fondamentale de notre monde était la loi du progrès, la loi selon laquelle science et technique peuvent assurer le bonheur de l’homme en satisfaisant ses besoins illimités. »
Garaudy fait cas ici des conséquences de la croissance des 90 dernières années. En effet, les spécialistes ont démontré qu’en cette courte période, plus la moitié du charbon utilisé depuis le début de l’ère moderne a été extraite. De même, dans les 70 dernières années, plus de la moitié du pétrole disponible a été exploitée, sans oublier l’uranium dont les gisements sont pratiquement épuisés. En évoquant ces points, le philosophe français se pose la question de savoir si l’homme d’aujourd’hui a le droit de dilapider, en peu de temps, le capital stocké en énergies fossiles, depuis des millions d’années, dans les entrailles de la terre, et le capital plus récent des forêts stocké depuis des siècles ? La réponse est évidemment non et c’est la raison pour laquelle Garaudy sonne la fin d’un cycle qu’il qualifie d’infernal. En effet, pour lui, nous assistons à la fin d’une illusion et pas encore à la fin du monde : le monde occidental prend conscience de son impuissance et de son incapacité à devenir comme « maître et possesseur de la nature » puisqu’il n’a fait que la détruire, la défigurer au lieu de la transfigurer. Par conséquent, le moment est venu de passer à autre chose c’est-à-dire tenter de relever le défi de l’entropie. La mutation ne serait-elle pas la véritable révolution tant attendue, contrairement à celles que l’humanité a connues dans l’histoire ? Celles qui consistaient à réaliser de simples passations de pouvoir à l’intérieur d’un même système d’aliénation de l’homme ? Ne faudrait-il pas un changement des fins et du sens de la vie et de l’histoire pour que la volonté de revivre l’aventure humaine soit une possibilité ? Cette grande mutation ne reposerait-elle pas sur le dialogue des cultures et des civilisations afin d’apporter des réponses aux problèmes du monde dont le plus sérieux est la possibilité technique d’anéantissement de la vie sur terre ?…
Moussa Samba
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Dans son article intitulé "L'humanité face à son destin", Moussa Samba a décrit justement les concepts de Garaudy permettant de penser la nécessité d'une modification du comportement de l'humanité. En effet, la catastrophe nucléaire de Fukushima a souligné une fois de plus le problème de notre comportement en matière d'énergie. La technique peut alors sembler être au service d'une exploitation de notre planète pour le confort de quelques-uns sachant qu'elle occasionne une prise de risque souvent démesurée.
Je souhaiterais ici questionner la pertinence du concept d' "entropie". L'article rappelle bien que ce concept d'origine physique désigne, dans la seconde loi de la thermodynamique, la tendance nécessaire pour les phénomènes énergétiques à aller vers une augmentation du désordre au point de vue microscopique. Tout le problème est alors de questionner la transposition que Garaudy fait de ce concept physique dans une réflexion philosophique sur la technique. Cette transposition est-elle pertinente et fondée ? Même sans avoir jamais lu Garaudy (peu importe ici les noms propres derrière lesquels on cache la pensée) que peut-on penser de cette idée d' "entropie" transposée dans une réflexion sur la technique ?
Ce qui est certain, c'est que cette idée d' "entropie" nous parle. Surtout après la piqûre de rappel de Fukushima… Cela nous parle car l'idée d'une tendance inexorable vers le désordre résonne avec le constat de la catastrophe associé de près au présupposé de l'exploitation et l'exténuation des ressources fossiles de la planète. Nous voyons tout de suite cette marche de l'humanité vers l'extinction à cause de l'épuisement des ressources et à cause de son comportement technique irresponsable donnant lieu, notamment, à des catastrophes telles que celle de Fukushima. Nous sommes alors tentés de souscrire à la lecture que Garaudy fait de la marche de l'humanité à partir de cette analyse de la technique. La notion d'entropie fait parfaitement échos à un pessimisme qui se veut réaliste quant au devenir de l'humanité. Cela se résume parfaitement dans cette idée : augmentation du désordre et dissipation inutile de l'énergie…
Toutefois, nous souhaitons souligner ici les dangers d'une telle transposition..
D'une part, elle peut être simplement un maquillage apparemment habile et valorisant pour souligner l'idée, somme toute classique, de la nécessité d'une réforme de nos comportements. Est-il en effet besoin de parler d'entropie pour souligner les dangers de la technique et la nécessité de ne pas gaspiller nos ressources ? N'est-ce pas une manœuvre rhétorique pour donner une caution scientifique à une hypothèse philosophique discutable ? Dire que l'humanité tend nécessairement vers sa disparition est soit un truisme (qui pense l'humanité éternelle à l'échelle géologique ?) soit la mise en évidence de notre irresponsabilité à travers l'idée que nous accélérons, par notre comportement, une fin qui de toute façon arrivera. Mais dans ce dernier cas, était-il indispensable d'introduire une notion scientifique ? Le risque me semble être celui d'une extinction de la réflexion. Sous couvert de l'entropie, on prétend donner une assise à une thèse qui pourtant n'a pas de valeur véritablement scientifique dès lors qu'on sort cette notion de son réel contexte théorique (celui de la thermodynamique). Cette tromperie apparaît alors d'autant plus habile qu'elle s'appuie sur nos angoisses. Plutôt que de nous faire réfléchir à la technique et à ses effets, la notion d'entropie nous dispenserait de penser en nous faisant admettre cette tendance inexorable vers le pire. Je ne vois alors dans l'entropie transposée dans l'histoire humaine qu'une exploitation de nos angoisses pour forcer le pessimisme et inciter par là une réaction ou une "mutation". Grâce à l'entropie, plus besoin de parler avec les optimistes qui défendent la technique et qui pensent qu'il y a une rationalité technique qui permettrait un encadrement de nos actions et une gestion du risque et des ressources.
D'autre part, en allant plus loin, la notion d'entropie ne risque t-elle pas d'introduire un fatalisme déresponsabilisant et pourtant fondé sur une simple apparence scientifique ? Si l'humanité doit aller à sa perte, si c'est une loi nécessaire, pourquoi retarder l'échéance ? Quelle différence pour moi que l'humanité "vive" deux siècles de plus ? Ne puis-je préférer la disparition de l'humanité à la diminution de mon propre confort ? Si cela est inexorable, pourquoi faire quelque chose ? Après tout, c'est l'entropie…
Cette réflexion sur l'entropie permet donc de soulever un certain nombre de difficultés relatives à la technique :- la question de la prise de conscience du risque technique et de la possible réforme de nos comportements
- la question de l'exploitation de la peur liée à la technique.
- la question de la tendance à utiliser la science pour donner une pseudo légitimité à une thèse
- la question de la responsabilité vis-à-vis des générations futures
Je crois que ce sont ces questions qui sont finalement soulevées par ce titre : "L'humanité face à son destin".
Braverman Charles
Moussa Samba
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Dans son article intitulé "L'humanité face à son destin", Moussa Samba a décrit justement les concepts de Garaudy permettant de penser la nécessité d'une modification du comportement de l'humanité. En effet, la catastrophe nucléaire de Fukushima a souligné une fois de plus le problème de notre comportement en matière d'énergie. La technique peut alors sembler être au service d'une exploitation de notre planète pour le confort de quelques-uns sachant qu'elle occasionne une prise de risque souvent démesurée.
Je souhaiterais ici questionner la pertinence du concept d' "entropie". L'article rappelle bien que ce concept d'origine physique désigne, dans la seconde loi de la thermodynamique, la tendance nécessaire pour les phénomènes énergétiques à aller vers une augmentation du désordre au point de vue microscopique. Tout le problème est alors de questionner la transposition que Garaudy fait de ce concept physique dans une réflexion philosophique sur la technique. Cette transposition est-elle pertinente et fondée ? Même sans avoir jamais lu Garaudy (peu importe ici les noms propres derrière lesquels on cache la pensée) que peut-on penser de cette idée d' "entropie" transposée dans une réflexion sur la technique ?
Ce qui est certain, c'est que cette idée d' "entropie" nous parle. Surtout après la piqûre de rappel de Fukushima… Cela nous parle car l'idée d'une tendance inexorable vers le désordre résonne avec le constat de la catastrophe associé de près au présupposé de l'exploitation et l'exténuation des ressources fossiles de la planète. Nous voyons tout de suite cette marche de l'humanité vers l'extinction à cause de l'épuisement des ressources et à cause de son comportement technique irresponsable donnant lieu, notamment, à des catastrophes telles que celle de Fukushima. Nous sommes alors tentés de souscrire à la lecture que Garaudy fait de la marche de l'humanité à partir de cette analyse de la technique. La notion d'entropie fait parfaitement échos à un pessimisme qui se veut réaliste quant au devenir de l'humanité. Cela se résume parfaitement dans cette idée : augmentation du désordre et dissipation inutile de l'énergie…
Toutefois, nous souhaitons souligner ici les dangers d'une telle transposition..
D'une part, elle peut être simplement un maquillage apparemment habile et valorisant pour souligner l'idée, somme toute classique, de la nécessité d'une réforme de nos comportements. Est-il en effet besoin de parler d'entropie pour souligner les dangers de la technique et la nécessité de ne pas gaspiller nos ressources ? N'est-ce pas une manœuvre rhétorique pour donner une caution scientifique à une hypothèse philosophique discutable ? Dire que l'humanité tend nécessairement vers sa disparition est soit un truisme (qui pense l'humanité éternelle à l'échelle géologique ?) soit la mise en évidence de notre irresponsabilité à travers l'idée que nous accélérons, par notre comportement, une fin qui de toute façon arrivera. Mais dans ce dernier cas, était-il indispensable d'introduire une notion scientifique ? Le risque me semble être celui d'une extinction de la réflexion. Sous couvert de l'entropie, on prétend donner une assise à une thèse qui pourtant n'a pas de valeur véritablement scientifique dès lors qu'on sort cette notion de son réel contexte théorique (celui de la thermodynamique). Cette tromperie apparaît alors d'autant plus habile qu'elle s'appuie sur nos angoisses. Plutôt que de nous faire réfléchir à la technique et à ses effets, la notion d'entropie nous dispenserait de penser en nous faisant admettre cette tendance inexorable vers le pire. Je ne vois alors dans l'entropie transposée dans l'histoire humaine qu'une exploitation de nos angoisses pour forcer le pessimisme et inciter par là une réaction ou une "mutation". Grâce à l'entropie, plus besoin de parler avec les optimistes qui défendent la technique et qui pensent qu'il y a une rationalité technique qui permettrait un encadrement de nos actions et une gestion du risque et des ressources.
D'autre part, en allant plus loin, la notion d'entropie ne risque t-elle pas d'introduire un fatalisme déresponsabilisant et pourtant fondé sur une simple apparence scientifique ? Si l'humanité doit aller à sa perte, si c'est une loi nécessaire, pourquoi retarder l'échéance ? Quelle différence pour moi que l'humanité "vive" deux siècles de plus ? Ne puis-je préférer la disparition de l'humanité à la diminution de mon propre confort ? Si cela est inexorable, pourquoi faire quelque chose ? Après tout, c'est l'entropie…
Cette réflexion sur l'entropie permet donc de soulever un certain nombre de difficultés relatives à la technique :- la question de la prise de conscience du risque technique et de la possible réforme de nos comportements
- la question de l'exploitation de la peur liée à la technique.
- la question de la tendance à utiliser la science pour donner une pseudo légitimité à une thèse
- la question de la responsabilité vis-à-vis des générations futures
Je crois que ce sont ces questions qui sont finalement soulevées par ce titre : "L'humanité face à son destin".
Braverman Charles