31 janvier 2011
29 janvier 2011
27 janvier 2011
L'alternative
Prendre conscience de l'impasse : si nous nous abandonnons aux dérives catastrophiques du présent, dans trente ans l'homme et son environnement seront désintégrés. Il ne sera plus temps de vivre. Tout au plus de survivre. Prendre conscience du possible, c'est changer le concept même de politique, ce n'est pas croire en quelque recette magique, nous sauvant " du dehors ", sans notre participation personnelle. Il n'y a pas de libération octroyée. C'est un feu qui peut s'allumer. Il peut s'éteindre si nul n'est décidé à le nourrir du meilleur de lui-même. Ce livre est un engagement. Pour celui qui l'a écrit. Pour celui qui le lit. |
26 janvier 2011
Averroes-Maïmonide-Alphonse X-Ibn-Arabi
Lu à la Fondation Roger Garaudy, au centre culturel Torre de la Calahorra, à Cordoba
25 janvier 2011
24 janvier 2011
L'Université des mutants de Gorée
C’est une journée d’exaltation et d’angoisse, que cette journée où l’Ile de Gorée, symbole des vieux esclavages, peut devenir le berceau de nouvelles libertés.
Cette Université des mutants est un acte de foi. Un acte de foi dans l’avenir.
Elle porte, à sa naissance, l’empreinte de celui qui l’a fondée : le poète Senghor, prophète de la négritude et des hautes valeurs qu’elle a créées. Le poète Senghor qui n’a cessé de rêver, la symbiose, en Afrique, des valeurs de la négritude et de celles de l’Islam. Le poète qui, par un enjambement poétique fulgurant, a rêvé de prolonger le « fertile croissant » des confins de la Chine jusqu’au grand fleuve où depuis des millénaires le Noir et le Blanc fusionnent, et de faire entendre l’unique symphonie, dans laquelle le sens africain profond de la participation et de la communauté saurait harmoniser les Noirs de la diaspora, ceux de l’Afrique l’Occident grec et chrétien avec les Noirs de l’Asie : les Dravidiens de l’Inde.
Ce rêve unique impose son rythme à la vie entière du Président Senghor.
Cette Université des mutants sera grande si elle est à la mesure de la démesure de notre temps, déjà comme un fanal balisant, à l’extrême pointe du Cap-Vert, le chemin du IIIe millénaire.
Car cette Université des mutants n’a pas pour objet de préparer des étudiants à répondre aux besoins même faux, même fous, de nos sociétés de croissance aveugle. Elle a pour tâche d’appeler des hommes à inventer un avenir inédit.
L’enjeu de cette entreprise est redoutable.
Parlons franc : le modèle de croissance défini par une augmentation quantitative sans fin de la production et de la consommation, ce modèle de croissance engendré par le modèle faustien de la culture occidentale depuis la Renaissance, conduit aujourd’hui à un suicide planétaire.
Nos économistes, nos politiciens, nos futurologues positivistes continuent à tenir le langage des premières ivresses de l’industrialisation, celui du XVIIIe siècle, et des « lumières », celui de Marx ou celui de l’optimisme libéral comme si la loi fondamentale de notre monde était la loi du progrès, la loi selon laquelle science et technique peuvent assurer le bonheur de l’homme en satisfaisant ses besoins illimités.
Déjà les sophistes grecs, appliquent à la vie individuelle les règles de conduite de l’impérialisme athénien, donnaient à notre vie ce but : « A voir les désirs les plus forts possibles et trouver les moyens de les satisfaire. » Nos sociétés occidentales actuelles, dont la croissance est le dieu caché, et la publicité, la liturgie démentielle, sont fondées sur cette perversion, du « mauvais infini », comme disait Hegel, l’infini purement quantitatif, dont vivent des hommes qui ont oublié qu’on ne peut rien ajouter au véritable infini.
Or, depuis plus d’un siècle, toutes les idéologies qui tentent de justifier cette perversion sont périmées : la loi fondamentale de notre monde n’est plus la loi du progrès, mais son contraire : la loi de l’entropie.
En 1854, trente ans après les « Réflexions sur la puissance motrice du feu », de Sadi Carnot, Clausius découvrit, au delà de la loi de transformation de l’énergie, la deuxième loi de la thermodynamique. Il établit que chaque transformation comporte un déficit, que l’on aboutit, au terme du cycle, à la moins efficace des formes d’énergie : la chaleur, et que celle-ci, à son tour, se dégrade en se disséminant jusqu’à une uniformité impropre à toute réactivation nouvelle. Il donna à cette mesure de la dégradation des énergies et des choses, le nom d’entropie, croissance du désordre et de l’impuissance, qui est le contraire exact de la notion mécaniste du progrès.
Tant que l’entropie demeurait seulement une loi physique prédisant l’épuisement du soleil dans quatre milliards d’années, et la mort de notre planète dans quelques millions d’années, au regard de l’histoire humaine l’entropie était négligeable : nous avions l’éternité, ou presque, devant nous.
Mais lorsque le pouvoir de nos techniques fut tel que l’homme devint un facteur géologique, au cours des années 60, l’angoisse est née au cœur des plus lucides. L’erreur fondamentale et mortelle de l’économie politique était de « faire comme si » le monde des hommes demeurait celui de la mécanique de Laplace : un système fermé alimenté par des sources inépuisables d’énergie.
L’entropie, loi de l’Histoire
Il apparut qu’à l’échelle présente du pouvoir humain, notre modèle de croissance accélérait vertigineusement l’entropie, que l’entropie n’était plus seulement une loi physique, une loi de la longue histoire des choses, mais aussi une loi économique, une loi de la courte histoire des hommes.L’on pouvait dès lors chicaner sur les délais fixés par le Club de Rome, mais il était clair que la croissance des trente années à venir ne pouvait plus, sous peine de mort de l’espèce, avoir la même orientation ni le même rythme que la croissance des trente dernières années.
Lorsqu’on prit conscience que la moitié du charbon extrait depuis les origines de l’humanité avait été extrait au cours des derniers trente ans, la moitié du pétrole au cours des derniers dix ans, qu’il en était pire encore pour l’uranium, et que même si l’on découvrait autant de nouveaux gisements exploitables qu’on en avait jusqu’ici exploités, l’échéance ne serait reculée que de quelques décennies, un problème radicalement nouveau se posa : avons-nous le droit de dilapider en quelques années, au profit de notre seule génération, le capital stocké en énergies fossiles, depuis des millions d’années, dans les entrailles de la terre, et le capital plus récent des forêts stocké depuis des siècles ?
Car il en est de la forêt comme des énergies fossiles.
Le tiers des arbres existant en 1882, près de deux milliards d’hectares, étaient rasés en 1952. Le déboisement inconsidéré des contreforts de l’Himalaya crée aujourd’hui les inondations ravageuses du Bengla Desh, comme les formes de cultures héritées du colonialisme engendrent les sécheresses du Sahel.
Dans le soixante dix dernières années l’agriculture moderne a détruit la moitié de l’humus sur plus d’un tiers des terres cultivées. Un milliard et demi d’hectares ont été rendus impropres à la culture. Malgré la « révolution verte », si rentable pour les grands propriétaires terriens, la production de céréales par tête est retombée, dans le Tiers Monde, au-dessous du niveau de 1961-1965. Malgré le développement et le perfectionnement des flottes de chalutiers, le produit annuel de la pêche a baissé de 11 % entre 1970 et 1975.
Or, notre vaisseau spatial a mis 2 millions d’années pour atteindre le premier million d’habitants. 6.000 ans d’agriculture seulement pour atteindre les 250 millions. Un millénaire et demi suffit pour doubler ce chiffre. Depuis l’industrialisation, le rythme s’accélère à une vitesse vertigineuse : le premier milliard est atteint en 1830. Le deuxième en 1930. Le troisième en 1960. Le quatrième en 1978. Comment pouvons-nous accueillir d’ici vingt ans, même en limitant les naissances, deux milliards nouveaux êtres humains sur notre planète ?
Et que l’on n’accuse pas la seule natalité des plus pauvres, car 10 millions d’Occidentaux consomment et polluent plus que ne le feraient, au niveau actuel, 4 milliards de paysans indiens.
La vérité minimale est celle-ci :
1°) Notre modèle de croissance accélère follement l’entropie ;
2°) Il est physiquement impossible de le prolonger, même pour le seul Occident ;
3°) Il est physiquement impossible de le généraliser à l’ensemble du monde ;
4°) En dilapidant en quelques années le capital d’énergie de matériaux et de produits alimentaires de notre planète, nous assassinons nos petits enfants.
Pouvons-nous raisonner avec le cruel cynisme de l’économie politique résumé par la boutade de Keynes : « Dans le long terme nous serons tous morts ! », version moderne du « Après nous le déluge » d’un ancien despote.
Nous ne pouvons plus raisonner sans nous considérer, selon les paroles du Coran, comme « les califes de Dieu sur la terre », c’est-à-dire responsables de l’énergie, du sol, de l’air et des eaux, et comptables d’eux non en termes financiers mais en termes d’entropie ; car, dans ce monde malade de n’avoir pas de but, l’entropie ne ronge pas seulement l’économie mais tous les autres aspects de la vie sociale.
Au niveau politique, où n’émerge aucun projet à visage humain, la désintégration du tissu social se manifeste par la violence, la drogue, le terrorisme, les enlèvements, les affrontements sans limite et sans fin. Les hommes étant rendu irresponsables par la délégation de pouvoir, massifiés par la propagande et la manipulation télévisée qui diffusent des modèles stéréotypés de comportement, ces explosions signifient seulement que des hommes et des femmes ne peuvent plus vivre dans des nations sans message et des Etats sans visage.
L’entropie gagne les arts lorsqu’ils n’ont plus pour objet la saisie de la réalité et de son sens.
Pour certains la peinture n’a plus d’autre objet que l’acte de peindre, la littérature pas d’autre objet que l’acte d’écrire. En philosophie l’acte de connaître devient l’objet d’une philosophie sans objet. Elle laisse indifférente la rue car les problèmes qu’elle pose ne se posent que parce qu’ils sont mal posés.
Eglises et écoles ne répondent qu’à des questions que personne ne se pose.
C’est pourquoi les Universités et les temples deviennent déserts.
Ce n’est point par goût d’une délectation morose que je trace ce tableau.
Ce n’est pas le tableau de la fin du monde.
Mais seulement la fin convulsive d’un cycle historique : celui de quatre siècles d’hégémonie occidentale
La fin d’une illusion
Je le répète, ce n’est pas la fin du monde, c’est la fin d’une illusion : de l’illusion de l’hégémonie culturelle de l’Occident.Je ne dis ces choses qu’inspiré par la certitude lucide qu’exister, désormais, est un défi permanent à l’entropie.
Un défi qui ne peut être victorieux.
- que si nous parvenons à établir de nouveaux rapports avec la nature en consacrant l’essentiel de la recherche à l’utilisation du flot pratiquement inépuisable de l’énergie solaire, et en ne créant plus les besoins artificiels et les plus criminels gaspillages en fonction des exigences non humaines du marché et de la guerre ;
- que si nous parvenons à établir de nouveaux rapports entre l’homme et l’homme qui n’oscillent plus entre un individualisme de jungle et un totalitarisme de termitière, et à retrouver le rapport proprement humain de la communauté ;
- que si nous parvenons à établir un nouveau rapport avec le divin qui redécouvre la dimension de la transcendance, la possibilité permanente de rupture avec le passé et le présent, au delà de l’abandon aux dérives catastrophiques et, aveugles d’un développement d’où l’homme est absent.
C’est pourquoi nous nous tournons vers vous, vers ceux qui ont conscience, comme l’écrit Monsieur Iba Der Thiam, Directeur de cette « Université des mutants », d’appartenir à un continent africain dont la contribution au patrimoine universel est éclatante », et qui dit-il « doit ajouter à ce substrat originel les valeurs non de la seule Europe, mais de toutes les civilisations asiatiques et américaines. » Ainsi est posé le vrai problème du développement, car le développement c’est l’histoire en train de se faire.
Le problème de la croissance n’est pas seulement un problème économique et un problème politique, mais un problème essentiellement religieux ; il a pour enjeu le sens et les fins de notre vie, la possibilité de vivre autrement, c’est-à-dire de rompre avec tout un système de relations sociales et de le transcender.
Les plus grandes révolutions de l’histoire n’ont pas été substitution de pouvoir mais émergence d’une réalité nouvelle qui naît en dehors de l’ordre déjà existant : le monde issu de la désintégration de la société esclavagiste de Rome n’est pas né de la victoire des esclaves. Le monde issu de la désintégration du système féodal n’est pas né de la victoire des serfs ; mais, en dehors du système féodal, par un triomphe qui n’était ni celui des serfs ni celui des seigneurs, mais celui d’une force nouvelle : celle de la bourgeoisie. Aujourd’hui, au delà de la sphère des luttes entre ouvriers et patrons, une réalité nouvelle est en train de naître : une révolution qui consisterait à substituer une dictature prolétarienne à une dictature bourgeoise, par une dialectique qui ne s’est jamais manifestée dans l’histoire, ne pourrait que perpétuer les fins de l’ancien système, notamment son modèle de croissance, avec toutes ses aliénations. L’expérience historique du dernier demi-siècle ne l’a que trop vérifié.
Il est temps de prendre conscience qu’une révolution véritable est pour une société ce qu’une conversion est sur un individu : un changement des fins et du sens de la vie et de l’histoire.
Sans quoi il n’y a pas de mutation véritable de l’homme, mais simple passation de pouvoir à l’intérieur d’un même système d’aliénation de l’homme, excluant les valeurs suprêmes de la personne : l’autonomie et la création.
Il y a quelques semaines, au Caire, au Congrès de la « Fédération mondiale des recherches sur le futur », un Indien, évoquant les possibilités d’un développement endogène dans les pays du Tiers-Monde, déclarait : « Aujourd’hui c’est peut-être l’Occident qui a le moins à nous dire sur l’avenir de l’homme ». Je crois fermement que notre frère Indien a raison.
Les problèmes qui se posent à nous désormais sont des problèmes planétaires, par le dialogue des cultures et des civilisations.
Les problèmes qui se posent à nous désormais sont des problèmes qui ne se posent que dans les mutations plusieurs fois millénaires des hommes : pour les résoudre nous ne pouvons raisonner en politiciens myopes, mais en hommes qui, prenant par rapport à la politique le recul des millénaires, savent redécouvrir, dans l’épopée humaine, des crises gui soient à l’échelle de la nôtre.
Il ne nous est plus possible de nous limiter à l’horizon borné de la politique et de l’économie européenne depuis la Renaissance, avec leur rationalisme infirme, prétendant réduire toute réalité au concept, avec leur individualisme réduisant toute chose à la mesure de notre solitude et méconnaissant toujours davantage les dimensions proprement humaines, c’est-à-dire divines, de la transcendance et de l’amour.
Revivre l’aventure humaine
Revivre l’aventure humaine dans sa plénitude, de la première espérance à la dernière angoisse, c’est prendre conscience des deux mutations décisives de l’homme :La mutation de la première espérance : celle du passage de la vie nomade à l’agriculture et à l’urbanisation, qui permet déjà à un petit nombre de n’être plus enchaîné par les besoins immédiats et de se consacrer à la culture, à la réflexion sur les fins, seul décisif de l’hominisation.
La mutation d’aujourd’hui, celle de la dernière angoisse est de même grandeur : pour la première fois dans l’histoire humaine l’homme dispose du pouvoir technique, avec les seuls stocks d’armes nucléaires existant dans le monde, d’anéantir plusieurs dizaines de fois toute trace de vie sur la terre. L’épopée humaine commencée en cette Afrique, mère des races, au Tanganyka, il y a deux ou trois millions d’années, peut prendre fin.
Dépassant la perspective des quatre derniers siècles de l’histoire occidentale, il apparaît que loin de s’opposer, la politique et la foi, prophétisme et politique, ont toujours été étroitement liés dans les grandes mutations historiques.
L’histoire pose les problèmes. C’est la part de vérité du matérialisme historique.
Les prophètes apportent les réponses, et c’est la réalité de l’esprit.
L’histoire pose les problèmes, comme celui du passage de la vie nomade à l’agriculture et à l’urbanisation. La réponse dernière est apportée par le prophète : aux confins de l’Iran et de l’Afghanistan s élève la voix de Zarathoustra. Avec lui, pour la première fois, ce drame historique de la lutte du « bon laboureur de la terre des hommes » contre le nombre pillard, prend la dimension cosmique de la lutte du Bien contre le mal.
Nietzsche ne s’y est pas trompé, lui qui écrit : « Zarathoustra, tu es, comme moi l’un de ces êtres prédestinés qui fondent les valeurs pour des millénaires ». Zarathoustra était pour lui le prophète de la fin des temps dans un monde occidental voué à la volonté de puissance par-delà le Bien et le Mal.
L’histoire posait les problèmes fondamentaux, au carrefour du Fertile Croissant, à la Palestine écrasée entre les deux grandes puissances de l’Egypte et de la Mésopotamie où les juifs furent tour à tour exilés. Alors s’éleva la voix de leurs prophètes pour répondre au drame de l’histoire en traçant à un peuple le chemin de l’homme vers un avenir proprement humain, c’est-à-dire : et ce fut la désacralisation du pouvoir des rois avec Amos, comme avec Moïse et le livre de l’Exode, comme avec Esaïe pendant l’exil de Babylone. Liant les malheurs d’un peuple aux fautes des hommes, ils rendent l’homme, au-delà de tous les échecs, pleinement responsable de son histoire et de la victoire de l’avenir.
L’histoire posait aussi le problème majeur, celui de la résistance de l’homme à tout ce qui est extérieur à lui, lorsque au-delà des réponses politiques des zélotes, ou du retrait du monde des moines de Qumran, Jésus de Nazareth dévoila en leur principe même et affronta, jusqu’à en mourir, le totalitarisme des prêtres juifs prétendant régenter la politique au nom de la loi religieuse, et le totalitarisme romain prétendant régenter la religion au nom du pouvoir politique d’un empereur pour lequel on exigeait le culte d’un Dieu.
La levée prophétique de Jésus de Nazareth annonçant, contre le double totalitarisme juif et romain, le royaume, à la fois comme levain de la vie intérieure et comme visée transcendante de l’avenir commun, renouvelait ainsi la vie et l’histoire.
Au Prophète de l’Islam l’histoire aussi posait les problèmes : ceux d’une Arabie idolâtre et divisée, et, pour ses successeurs, ceux d’un empire sassanide désintégré par les rébellions locales, d’un Empire byzantin morcelé, par ses hérésies, d’une Espagne livrée à la décadence des rois Wisigoths, à des évêques avides et à des féodaux pillards. Alors se leva le Prophète. Il prenait le relais de la religion d’Abraham, fondée sur le don absolu de soi à la volonté divine le relais de Moïse unifiant la loi de Dieu et celle du monde, le relais de Jésus « le sceau de la sainteté », au-delà de toutes les subtilités théologiques. Et l’Islam déferla, comme un cyclone fécondant, de la Mer de Chine à l’Océan Atlantique, héritier des grandes civilisations, de l’Inde à l’Iran et à la Grèce. Il ouvrait l’avenir par une prodigieuse floraison de la science, de la mystique et des arts, en donnant à l’homme pour but, comme l’écrit Ibn Arabi, le « Cheikh el akbar », de « faire de sa propre vie un lieu de la manifestation du divin ».
L’Islam apprendra à Dante et aux « Fidèles d’amour », avec Ruzbehan de Chiraz, que « c’est dans le livre de l’amour humain qu’on déchiffre l’amour divin ».
Il apprendra à tous les hommes à ne faire qu’un seul tout de la politique de la mystique la plus haute, comme en donnèrent l’exemple Abd El Kader et El Hadj Omar.
Cette lignée plusieurs fois millénaires permet de situer le rôle de l’Université des’ mutants et de ses stages de Gorée.
Mettre fin à des dualismes mortels
Ce n’est pas une institution copiée sur les Universités occidentales qui séparent depuis des siècles la politique et la science du prophétisme et de la foi.En dehors de ce dérisoire intermède de l’histoire mondiale qui commence avec la Renaissance européenne, c’est-à-dire avec la naissance simultanée du capitalisme et du colonialisme, dans toutes les cultures, dans tous les continents, et dans tous les siècles, mystique et politique, prophétisme et mutation sociale ne font qu’un.
Lorsque la politique et la science oublient ou refusent la dimension transcendante de l’homme, son invincible pouvoir de reprise sur son destin, alors nous ne savons que trop ce que deviennent la politique et la foi.
La politique et l’économie deviennent technocratiques, c’est-à-dire qu’elles ne se posent plus la question du « Pourquoi », celles des fins, mais seulement celle du « Comment », c’est-à-dire des moyens.
Elles deviennent scientisme. Le scientisme est cette superstition qui, séparant la science de la sagesse, les moyens des fins, fait de la connaissances non une vertu au service de la maîtrise et de la maîtrise et de la réalisation de soi, mais un pouvoir au service de la volonté de puissance envers la nature et envers les autres hommes. Ce n’est pas un hasard si cette machine à combustion interne, le canon, qui tonna pour la première fois à la bataille de Crécy en 1346, est l’ancêtre de tous les moteurs modernes, et si les centrales nucléaires d’aujourd’hui ont pour ancêtres la bombe d’Hiroshima.
La foi, à son tour, devient intégriste c’est-à-dire liée à une culture passée et dépassée, détachée de la vie d’aujourd’hui et incapable de répondre à ses problèmes.
Les Eglises auraient besoin de mystiques ; elles n’ont que des clergés et des dogmes.
Les révolutions auraient besoin de prophètes ; elles n’ont que des politiciens et des partis.
Les sciences auraient besoin d’une sagesse pour leur assigner une fin ; elles ne se fondent que sur des positivismes et des scientismes.
Quand la foi baisse les superstitions se mettent à pulluler :
Les uns prêchent le retour à la foi non par amour de Dieu mais par peur du peuple.
D’autres adhèrent à un parti pour déléguer leur pouvoir de choix à un dirigeant ou à un élu.
D’autres encore veulent se persuader que la science et l’ordinateur peuvent répondre à tous leurs problèmes pour n’avoir à en poser aucun.
Si l’Amérique latine, l’Asie, l’Afrique imitent l’Occident, si elles importent ses modèles de croissance et ses modèles de révolution, elles sont perdues. Et l’Occident avec elles.
Créer des mutants, c’est au contraire mettre fin à ces dualismes mortels. C’est unifier en un tour la politique, l’économie, la culture et la foi, la culture et la foi dominant et commandant l’économie et la politique comme la réflexion sur les fins doivent dominer et commander l’organisation des moyens.
Créer des mutants, c’est lutter à la fois pour que change l’intérieur et l’extérieur, l’homme et les structures Robespierre a voulu changer les hommes, comme Gandhi.
Saint-François d’Assise ouvrait la perspective d’une mutation, comme Mao-Tsé- Toung.
Les mutants sont des hommes qui portent déjà en eux un monde encore à naître. Tout un monde. Extérieur et intérieur : Celui de la politique et celui de la foi. Des hommes qui portent en eux Robespierre et Gandhi, Saint-François d’Assise et Mao-Tsé-Toung.
Nous taxera-t-on d’utopie ? Est-ce une utopie que de croire que l’on peut vivre autrement ? Alors, tout ce qu’il y a de grand en histoire serait utopie, car il n’est de grandeur que dans l’irrécusable vouloir de vivre autrement.
Notre entreprise serait folle si les ferments du monde nouveau n’affleuraient déjà sur la terre.
Chaque branche de notre projet s’enracine dans cette terre vivante.
Des millions d’hommes aujourd’hui parmi les porteurs d’avenir, cherchent à concevoir et à vivre des rapports nouveaux entre l’homme et la nature, entre l’homme et l’homme, entre l’homme et le divin, et cela n’est possible que par un dialogue avec les cultures, les sagesses, les religions qui ont conçu et vécu ces rapports.
C’est pourquoi s’exprimeront ici, et toujours par ceux-là même qu’elles ont formé, toutes les sagesses et tous les prophétismes : les sagesses de l’hindouïme, du bouddhisme et du tao, et les prophétismes de Zarathoustra, du judaïsme, du christianisme et de l’Islam.
Ces sagesses et ces prophétismes nous enseignent tous que je ne suis pas un individu, un atome, un grain de poussière séparé des autres par un vide et ballotté par les souffles de l’air, mais que je suis une vague sans frontière, habité par toutes les autres vagues de l’Océan et de ses marées, par toutes les attractions et les gravitations des mondes. Nous sommes venus ici pour en prendre ensemble conscience, à partir de cette certitude que l’autre homme, c’est ce qui me manque pour être pleinement homme.
Exiger un second ordre culturel mondial
Des millions d’hommes, aujourd’hui, dans le Tiers-Monde, font l’inventaire de leurs ressources et de leurs besoins pour exiger un nouvel ordre économique mondial et un nouvel ordre culturel mondial. La conférence des ministres africains chargés de l’application de la science et de la technologie au développement, (le « Castafrica »), réunie à Dakar en 1974, proclamait : « La science et la technologie représentent, pour l’Afrique, un moyen de développement et de libération. Elles recèlent aussi des risques : elles peuvent véhiculer des modes de vie et de pensée dangereuses pour la personnalité africaine... La technologie doit être mise au service de l’Afrique et non l’Afrique soumise sans discernement à des techniques vendues fort cher et importées pour leur seule rentabilité financière à court terme ».Après avoir souligné que le choix des technologies engage tout l’avenir d’une société,et peut conduire à une véritable « pollution politique », les ministres ont refusé le tragique dilemme dans lequel certains voudraient les enfermer : ou bien vous sombrerez matériellement si vous n’acceptez pas de vous « moderniser », ou bien vous perdrez votre âme si vous le faites.
On ne dira jamais assez le mal que constitue ce faux dilemme : il consiste à confondre modernisation avec occidentalisation et à faire de cette confusion une loi fatale.
L’énumération, par les ministres africains, des techniques fécondes pour l’Afrique, montre la voie pour échapper à cette confusion. Ils insistaient notamment sur les différentes utilisations de l’énergie solaire et éolienne par petites unités génératrices autonomes, les véhicules tous terrains, l’utilisation des matériaux locaux, depuis la construction jusqu’à la pharmacopée et la production de protéines à partir de plantes africaines, la lyophilisation, les techniques pédagogiques applicables à domicile.
Dans les deux journées de travail de demain et après demain, je suggère que, nous inspirant de cette méthode, nous mettions au point, afin de l’envoyer aux futurs stagiaires, un questionnaire précis invitant chacun d’eux à présenter ainsi, pour son propre pays, un semblable inventaire des besoins et des ressources, et une réflexion prospective sur ses projets techniques, économiques et culturels.
Ainsi il n’y aura pas, dans l’Université des mutants le dualisme, tueur d’initiatives, des enseignants et des enseignés. Chacun participera à part entière à ce vers quoi les trois grands de la négritude : Senghor, Césaire et Damas, nous appellent tous depuis des années : le grand rendez-vous du donner et du recevoir.
Dans le même esprit, dans notre colloque préparatoire peut-être pourrons nous compléter cette tâche en invitant les futurs stagiaires à s’interroger sur la communauté africaine non par je ne sais quelle nostalgie du passé, mais avec la volonté de chercher comment elle peut s’épanouir, en Afrique et dans le monde, en surmontant les individualismes et les totalitarismes, afin d’apprendre la contribution de l’Afrique à l’art de vivre autrement.
Puis-je enfin souhaiter, au nom de notre « Institut international pour le dialogue des civilisations », que la création de cette « Université des mutants » ne soit que la première, qu’elle donne l’exemple de la création d’autres Universités des mutants dans plusieurs pays du monde, et qu’elles soient liées entre elles pour échanger leurs expériences et fédérer leurs espoirs ?
Si nous atteignons tous ensemble ces objectifs, alors cette île de Gorée qui redresse aujourd’hui sa proue au souffle des alizés, ne sera pas seulement l’Acropole de la négritude, mais l’un de ces hauts lieux du monde qui donnent un visage à l’espérance de tous les hommes.
Ethiopiques n°17
revue socialiste de culture négro-africaine
janvier 1979
- L'Université des Mutants a été créée en 1979 par Senghor sur une idée de Garaudy. Elle a organisé de nombreuses sessions sur le développement destinées à des responsables d'organisations gouvernementales. Malheureusement, faute de fonds, elle a dû fermer ses portes en 2005. Je souhaiterais vivement qu'on la rouvre et qu'on puisse y organiser des sessions sur les rapports entre les cultures. Luc Collès
23 janvier 2011
La plaidoirie de Me Vergès au procès Garaudy (1998)
La loi Fabius-Gayssot, loi raciste.
Avant de discuter du texte de loi censé protéger sur le plan de la presse les victimes du crimecontre l'humanité, il convient de définir d'abord ce que veut dire le mot Humanité en français etdans la loi Gayssot.
En français le mot Humanité au singulier désigne à la fois le genre humain dans sa totalité et le sentiment de compassion que chacun doit éprouver pour tous ses semblables. S'il est un mot en français qui exclut l'exclusion c'est bien celui là. L'Humanité c'est tous oupersonne.
Dans la loi Gayssot et la jurisprudence qui en est issue, c'est tout le contraire. L'humanité nedésigne que les juifs qui furent victimes du nazisme. Autant dire que l'humanité a perdu sonsens.La remarque est d'autant plus étonnante que Monsieur Gayssot écrit parfois dans un journalqui s'appelle l'Humanité, dont aucun des lecteurs ne pense qu'il s'agit seulement d'Israël.Le fait est pourtant là.
Monsieur Gayssot exclut de la protection de sa loi, toutes les autres victimes des autres génocides et des autres crimes commis dans le monde hier et aujourd'hui.
Exclues les victimes de l'esclavage que le Code Noir définissait comme objets, plusprécisément biens, meubles et non pas personnes.Le Président de la Cour de Cassation dans une déclaration récente pouvait mettre un signed'égalité entre l'esclavage et le massacre des juifs par les nazis. Cela n'a aucune conséquence
juridique et l'on peut défendre aujourd'hui l'esclavage sans tomber sous le coup de la loiGayssot.
De même peut-on justifier que les Australiens Blancs aient pu considérer jusqu'en 1947 lespremiers habitants du pays comme des bêtes et non des êtres humains. Ils sont exclus de la compassion de Monsieur Gayssot et de la loi. Qu'on les ait chassés à courre comme des renards laisse Monsieur Gayssot de marbre.
Les Tasmaniens ont été massacrés jusqu'aux derniers par les colons blancs. Il est loisible à un raciste de le justifier sans tomber sous le coup de la loi Gayssot. La dernière Tasmanienne est morte en 1877 et son cadavre empaillé a été exposé dans un musée de Hobarth jusqu'en 1947,entre un loup de Tasmanie et un kangourou. Monsieur Gayssot et sa loi raciste s'en moquent. Comme ils se moquent des Indiens d'Amérique dont il disparaît une tribu par an. Comme ils se moquent des Khmers ou des victimes de Sabra et Chatila.
Exclues de l'Humanité et de la loi les autres victimes de la 2ème guerre mondiale. Exclus les Ethiopiens contre qui, furent utilisés les gaz asphyxiants par les Italiens. Ils sont noirs. Ils n'intéressent pas Monsieur Gayssot, ni sa loi raciste. Pas plus que les femmes et les enfants d'Hiroshima et de Nagasaki réduits en cendres par les bombes nucléaires américaines en 1945. Il est vrai qu'ils avaient la peau jaune et les yeux
bridés. Ils n'intéressent ni Monsieur Gayssot ni sa loi raciste..
Exclues de l'Humanité selon Monsieur Gayssot les victimes des répressions coloniales qui firent suite à la victoire des prétendues démocraties. Les quelques dizaines de milliers de civils Algériens assassinés par les milices coloniales àSétif et à Guelma, en Algérie, le 8 mai 1945, le jour même de la capitulation allemande. Il estvrai qu'ils étaient musulmans, ils n'intéressent pas Monsieur Gayssot ni sa loi raciste.
Exclus les 100 000 civils Malgaches massacrés par les troupes coloniales et les colons en1947. Il est vrai qu'ils n'étaient pas juifs et qu'à ce titre ils n'intéressent pas Monsieur Gayssotet sa loi raciste.
Exclus les vietnamiens victimes de la sale guerre menée par la 4ème République puis par les américains. Les militants du PCF étaient à l'époque solidaires des Vietnamiens. C'est un passéque renie Monsieur Gayssot.
Exclus encore les quelques centaines de milliers de civils Algériens morts pendant la guerre d'Algérie, de faim et de froid dans les camps de regroupement dénoncés à l'époque par Monsieur Rocard. Ils n'étaient pas européens. Ils n'ont pas droit à la compassion de MonsieurGayssot et de sa loi raciste.
Exclues encore les victimes des génocides qui continuent aujourd'hui en Afrique dans la région des grands lacs, et au Congo dit démocratique. Les Noirs ont-ils une âme ? Monsieur Gayssot sans doute ne le pense pas, autrement il se serait arrangé pour que sa loi s'applique à eux.
Un homme aujourd'hui illustre avec éclat ce mépris raciste des grands principes antiracistes :M. PAPON.
Il est poursuivi pour complicité de crimes contre l'humanité pour avoir, jeune secrétaire général de préfecture, prêté la main à l'arrestation et à la déportation de juifs à Bordeaux, en1943.Mais le même M. PAPON n'est pas poursuivi pour les ratonnades organisées à Paris en 1961,alors qu'il était Préfet de Police. Crime contre l'humanité dans un cas, simple bavure dansl'autre.Pourtant à l'époque, les plus grands noms de la culture française, Sartre, Aragon, Boulezaffirmaient dans un manifeste :" Qu'entre les algériens enfermés au Palais des Sports en attendant d'être refoulés, et les juifs parqués à Drancy avant la déportation nous nous refusons à faire une différence ".Monsieur Gayssot lui, a eu l'audace de la faire et pour notre honte, l'institution judiciaire, prise à son piège s'est résignée à le suivre.
Déboutés la veuve de Monsieur LAKDAR TOUMI et les orphelins de Monsieur YACOUB assassinés pendant la guerre d'Algérie (décision de la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation, le 29 novembre 1988). Les parties civiles disent aujourd'hui qu'elles sont pour appliquer aux crimes du colonialisme la loi de 1964, qui punit les crimes contre l'Humanité. Mensonge !Leurs dirigeants et amis parlementaires ont la possibilité de déposer une loi en ce sens et ne lefont pas ! Le MRAP a beau porter un masque maghrébin les jours de carnaval, il ne trompe personne.
Déboutés aussi par votre tribunal en octobre 1994 les Arméniens qui avaient porté plainte contre Monsieur B. LEWIS qui niait la réalité du génocide Arménien de 1915. Comment à ce moment là, ne pas se poser la question que se pose Monsieur Jean-François Forges, professeur d'histoire dans un lycée lyonnais, quand il écrit dans son livre " Éduquercontre Auschwitz ", " les silences officiels sur certains aspects de la colonisation peuvent donner l'impression qu'on fait le tri parmi les victimes ". On ne saurait mieux dire. Monsieur Gayssot et sa loi font le tri parmi les cadavres d'enfants et de femmes.Et comment ne pas entendre sa terrible mise en garde :" Pourquoi ceux qui mentent par omission à propos des massacres d'Aes diraient-ils la vérité à propos des massacres de juifs ? ".
La loi Gayssot n'interdit pas non plus de trouver des excuses aux médecins américains émules et prédécesseurs de Mengele qui de 1932 à 1972, ont utilisé comme cobayes des centaines de Noirs atteints de la syphilis à qui ils refusaient tout traitement. (Libération 19.05.1997), ni aux médecins australiens qui de 1945, l'année de la capitulation allemande, à 1970, ont utilisé des orphelins pour tester de nouveaux vaccins contre l'herpès ou la diphtérie (Libération 12.06.1997), ni aux autorités suédoises qui, pendant 40 ans de 1935 à 1976, ont ordonné à des médecins indignes, de stériliser 62000 personnes réputées inférieures, infirmes, prostituées oumétis.
Il y a cinq ans, l'ONU décidait une ingérence humanitaire en Somalie. Elle portait le beau nomde " Restaurons l'espoir ". Un ministre, à l'époque s'était fait remarquer, portant " pour la photo ", un sac de riz sur l'épaule. Une autre photo aujourd'hui, soulève l'émotion. Elle représente une jeune somalienne attachée nue sur un véhicule blindé et violée avec une fusée éclairante enduite de confiture par des soldats italiens (Jeune Afrique 18.02.1997). Leurs chefs qui leur avaient dit :" Nous ne devons pas traiter les somaliens comme des êtres humains, même s'il s'agit de femmes et d'enfants " (Le Monde 17.VI.97) ne tombent pas non plus sous le coup de la loiGayssot puisqu'ils n'appartiennent pas à une organisation déclarée criminelle à Nuremberg,mais à un corps réputé d'élite qu'aucune juridiction internationale n'a compétence pour juger.
Mais cette loi scandaleuse n'est pas seulement raciste puisqu'elle ose trier parmi les victimes suivant leur religion ou la couleur de leur peau, refusant aux uns la protection accordée auxautres. Elle est fasciste dans la mesure où à propos d'événements historiques elle interdit de mettre en cause une vérité officielle, elle interdit de penser.
Si les crimes innommables commis contre l'Humanité depuis Nuremberg , en Indochine, en Indonésie, en Afghanistan, en Algérie, au Liban, en Somalie et ailleurs, n'intéressent pas Monsieur Gayssot, il entend voir interdire et sanctionner tout examen, toute recherche, toute interrogation concernant le procès de Nuremberg, dont les décisions devraient être acceptéescomme parole d'Évangile et vérité révélée. Il n'est pas étonnant dans ces conditions, que le Chef de l'État, Monsieur Chirac, alors député, ait voté contre, comme Monsieur Toubon, futur Ministre de la Justice, dont je me permets derappeler le propos :" Lorsque nous en avons discuté en 1990, sur la base d'une proposition de loi du groupe communiste, dont le premier signataire était Monsieur Gayssot, j'avais contesté - je n'étais pas le seul - le principe de ce texte, qui consiste à fixer la vérité historique par la loi au lieu de la laisser dire par l'histoire. Certains objectent que si c'est bien l'histoire qui fait la vérité et si ce n'est pas à la loi de l'imposer, certains propos vont trop loin et il ne faut pas permettre de les exprimer. Mais c'est glisser insensiblement vers le délit politique et vers le délit d'opinion. Donc, sur le fond, il y a dans ces dispositions un très grand danger de principe (...). Par conséquent, sur le principe, l'article 24bis représente, à mon avis, une très grave erreur politique et juridique. Il constitue en réalité une loi de circonstance, et je le regrette
beaucoup ".
beaucoup ".
Un an après, à froid, nous pouvons, comme je viens de le faire, examiner la validité de cette loi, la validité de ce délit de révisionnisme prévu par l'article 24 bis, et conclure, avec Simone Veil, que ce délit est inopportun (...). C'est une faute sur le plan politique et sur le plan juridique. (JO22.VI.1991). Madame Veil, ancienne déportée et ancien magistrat qui persiste et signe dans une interview récente (EDJ 27.VI.1996):" l'histoire doit être libre. Elle ne peut être soumise à des versions officielles ."
Présidente d'honneur de la Ligue des Droits de l'Homme, et historienne, Madame Madeleine Rebeyrioux lui fait écho (Le Monde 21.V.1996)." Chercher, toujours chercher, - établir les faits, les confronter, comprendre leur enchaînementet leur sens -, c'est une tâche d'historien, et de citoyen. Proclamer l'entière liberté de cette
recherche, telle est entre autres la vocation de la Ligue des Droits de l'Homme. C'est pourquoi, elle prit position en 1990 contre la partie de la loi, dite loi Gayssot, qui, le 13 juillet de cette année là, constitua en délit relevant des tribunaux le fait de contester " un ou plusieurs crimes contre l'humanité, tels qu'ils sont définis par l'article 6 du statut du tribunal militaire annexé àl'accord de Londres du 8 mai 1945 ".C'est au nom de ce texte intégré (article 24 bis) à la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881 que Monsieur Garaudy a été mis en examen.
Ainsi que s'interroge Monsieur Alain-Gérard Slama dans le Figaro (3.v.96)" L'histoire n'est pas un tribunal. Les tribunaux ne sont pas un jury d'historiens. Les falsifications de la mémoire ne se traitent pas, hélas, comme de la fausse monnaie. A trop croire qu'il existe une morale objective, notre société rend chaque jour le droit plus subjectif et, à ce titre, plus intolérant. Et de cette erreur là aussi, tôt ou tard, il faudra répondre ".
Il appartient au juriste de combattre ce texte totalitaire selon l'expression de Monsieur FrançoisTerré, professeur de droit et membre de l'Institut, nous rappelant vous et nous, MM les magistrats, à notre devoir (Le Figaro 15.V.96). " Il lui appartient en effet, de veiller à la sauvegarde de libertés fondamentales auxquelles la loiGayssot porte atteinte : la liberté d'opinion et d'expression car, suivant la Déclaration de 1789," nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi " (art. 10) ; la liberté de " communication de pensées et des opinions, qui est un des droits les plus précieux de l'homme " (décl. 1789, art.11) ; la liberté de la presse affirmée par la loi de 1881, et celle de l'audiovisuel, par une loi de1986.
A quoi s'ajoute la libre recherche scientifique, consacrée par les lois de la République (loi du 26 janvier 1984 art. 3), et dont la liberté de l'historien est une illustration. Il y a plus d'un siècle nos juridictions le rappelaient : ce n'est pas devant les tribunaux que l'Histoire doit trouver sesjuges.
Par une série d'arrêts retentissants, la cour de Strasbourg a affirmé qu'à la fonction de la presse, qui consiste à diffuser des informations, s'ajoute le droit du public d'en recevoir," faute de quoi la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de " chien de garde ".Cela vaut, précise-t-elle," non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme indifférentes ", mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent. Ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l'esprit d'ouverture, sans lesquels il n'est pas desociété démocratique " (arrêts Handyside contre Royaume-Uni, 7 déc. 1976 ; Lingensc/Autriche, 8 juil. 1986 ; Jersild c/Danemark, 23 sept. 1994 ; etc.).
Notre souhait, Monsieur le Président, Mesdames, est que votre décision ne nous contraigne pas à ce recours, à une juridiction européenne. Il existe pour cela des moyens de droit surlesquels je reviendrai.
Nous avons le droit en France, de demander la révision d'une décision rendue par les juges français, et nous n'aurions pas le droit de simplement nous interroger sur le jugement rendu à Nuremberg, par entre autres, le Major Général Nikitchenko et le Lieutenant Colonel Volchkov ?
Ce n'est pas concevable, vous en conviendrez.
L'affaire de la bibliothèque du Lycée Edmond-Rostand, à Saint-Ouen l'Aumône, est une illustration parfaite des dérapages auxquels peut entraîner cette loi. Nommée en septembre 1996 documentaliste dans ce lycée, Mme Cherkaoui n'a rien eu de plus pressé que de dresser la liste des livres à proscrire pour " révisionnisme "
Furent ainsi exclus de la bibliothèque du lycée :
• Joseph de Maistre (mort en 1821),
• Maurice Barrès (mort en 1923),
• MM Alain Peyrefitte, ancien ministre du Général de Gaulle,
• Jean-François Deniau, qui vient de présider la commission de réforme des coursd'assises,
• Marc Fumaroli et Jean-François Revel, de l'Académie Française,
• L'historien André Castelot et Jean Tulard, autorité reconnue dans les études napoléoniennes.
" C'est devenu un procédé courant, écrit J.F. Revel, de précipiter dans le nazisme ou le révisionnisme, tout individu dont on veut salir la réputation ". (Le Point - 28.11.97)..
Mme Cherkaoui, dans sa chasse aux sorcières, a eu le soutien du MRAP, aujourd'hui partie civile contre Monsieur Garaudy.
Monsieur Roger Garaudy a deux tares :
1 - Il est français
2 - Il est musulman.
S'interroge-t-il, sans nier le massacre, sur le nombre réel des victimes juives du nazisme. On vous demande de le condamner. Mais il n'est pas le premier chercheur à le faire. Monsieur Poliakov en son temps a contesté lechiffre sacré de 6 millions retenu à Nuremberg. Il estime que le nombre de victimes se situe autour de 2 millions. Ni la LICRA, ni le MRAP, ni les différentes organisations de déportés n'ont porté plainte contre lui. C'est qu'à la différence de Monsieur Garaudy, il était juif.
Monsieur Hillberg est plus radical encore, il estime que le chiffre de 2 millions doit être réduit à 1 million 250 000. Il n'est pas poursuivi par ces messieurs non plus. Il a la chance en effet de ne pas être français et d'être juif.
Roger Garaudy s'interroge de même sur les chambres à gaz, l'arme du crime selon les juges de Nuremberg. Il pense qu'après les expertises faites aux États-Unis et en Pologne une clarification s'impose.Il est traîné devant vous, mais pas l'expert américain, ni l'expert polonais.Où est la justice égale pour tous ? Pourtant il n'a pas écrit comme Monsieur Elie Wiesel, prix Nobel de la Paix, que :" les chambres à gaz, il vaut mieux qu'elles restent fermées au regard indiscret " (Tous lesFleuves vont à la mer - Le seuil 1994). Ni, comme Monsieur Goldhagen, que les chambres à gaz sont " un épiphénomène dans l'extermination des juifs " (les Bourreaux Volontaires de Hitler, les Allemands Ordinaires etl'holocauste) - Le Seuil 1997). Ni la LICRA, ni le MRAP n'ont porté plainte contre eux. Pourtant ces livres ont été publiés enFrance.
C'est qu'à la fois, MM. Wiesel et Goldhagen ont deux qualités que ne possède pas Monsieur Garaudy, ils ne sont pas français et ils sont juifs.
L'état hébreux est aujourd'hui accepté par les Palestiniens et, chez les Israéliens, nombreux sont ceux qui acceptent désormais l'existence à terme d'un État Palestinien. La souffrance des Palestiniens, dont l'identité même, a été si longtemps niée, nous touche ;elle ne nous interdit pas d'être lucides à leur égard et de critiquer, quand nous estimons devoir le faire, leur comportement. De la même manière, personne n'est insensible à la souffrance des juifs d'Europe, au temps du nazisme triomphant. Cela n'interdit pas non plus la critique, quand nous estimons devoir la faire, du comportement de certains en Israël, surtout que les Israéliens eux-mêmes nous en donnent de plus en plus l'exemple.
Ainsi on reproche à Roger Garaudy d'utiliser le mot mythe dans son livre intitulé " Les mythes fondateurs de l'État d'Israël ", mais les universitaires israéliens eux-mêmes utilisent ce mot.C'est ainsi que dans Le Monde en date du 13.VII.97, à la question du journaliste Monsieur Nicolas Weill qui utilise lui-même le mot mythe :
" Certains sociologues et historiens israéliens remettent aujourd'hui en question les mythes fondateurs du sionisme en n'y voyant par exemple qu'une forme de colonialisme. Qu'en pensez-vous ? Monsieur Claude Klein, juriste et historien israélien répond :" Comme toute histoire, l'histoire du sionisme est une épopée ; elle vit sur des mythes dont la remise en cause est naturellement justifiée ".Quelle différence entre Monsieur Garaudy et Messieurs Weill et Klein ?Garaudy est musulman. Eux ne le sont pas
De même on lui reproche les jugements sévères qu'il porte sur ce qu'on appelle la démocratie israélienne. Mais les israéliens eux-mêmes mettent en cause le caractère démocratique de leur état. Ainsi le professeur Kimmerling, de l'Université hébraïque de Jérusalem, écrit-il que " ce régime n'est ni juif ni démocratique (Haaretz 27.XII.96).Je le cite :" ... A défaut d'avoir une constitution, Israël repose sur trois lois fondamentales dont l'une le définit comme " État juif et démocratique ". Mais l'interprétation donnée de la notion de " judaïsme " rend ces deux qualificatifs très ambigus, et a pour effet qu'une grande partie des pratiques de l'État sont totalement incompatibles avec les principes d'une démocratie de type occidental, libérale et avancée ...
" ... C'est ainsi que la loi du Retour exclut de ce droit les Palestiniens qui ont dû fuir leur pays
pendant et après les guerres, et même ceux qui y sont restés, à qui est refusé le droit à la
réunification des familles.
" ... Ces mesures sont complétées par les discriminations qu'imposent la Fédération sioniste
mondiale et l'Agence juive, au profit des seuls citoyens juifs ".
" Ses autorités judiciaires ont couvert la pire violation du droit international... ",les expulsions
individuelles ou collectives et l'autorisation de la torture dans les interrogatoires des
" suspects ... "
" ... C'est ainsi que la loi du Retour exclut de ce droit les Palestiniens qui ont dû fuir leur pays
pendant et après les guerres, et même ceux qui y sont restés, à qui est refusé le droit à la
réunification des familles.
" ... Ces mesures sont complétées par les discriminations qu'imposent la Fédération sioniste
mondiale et l'Agence juive, au profit des seuls citoyens juifs ".
" Ses autorités judiciaires ont couvert la pire violation du droit international... ",les expulsions
individuelles ou collectives et l'autorisation de la torture dans les interrogatoires des
" suspects ... "
Les parties civiles critiquent en France le droit du sang et la préférence nationale, pas en Israël.
On reproche à Garaudy les jugements sévères qu'il porte sur la politique israélienne à l'égard des palestiniens et des chrétiens. On y voit la preuve de son antisémitisme.Alors, antisémite, Mme Shoulamit Aloni, ancien ministre de la Culture de l'État Hébreu, quand elle parle de " dérive fasciste " ?" Nous traitons, dit-elle, les palestiniens comme des êtres de seconde classe. Nous prenons leurs terres, leurs maisons et leurs droits par la force. S'il y a une nouvelle guerre, nous aurons à nous en prendre à nous-mêmes ".
Antisémite, Amnesty International qui a protesté contre " l'institutionnalisation de la torture en Israël ?" (Le Monde 15.IV.96). Antisémite, Monsieur Boltanski, correspondant du journal Libération en Israël qui décrit le 14octobre 1997, la politique de " développement séparé ", c'est-à-dire l'apartheid pratiquée par la
municipalité de Jérusalem entre les communautés juive et arabe ?
Antisémite Monsieur Patrice Claude, tenant à signaler dans Le Monde (28.VI.97) que " leNouveau Testament est menacé d'interdiction en Israël ". Le Saint Siège a réagi " avec vigueur " et convoqué en mai l'ambassadeur d'Israël au Vaticanpour lui dire, " discrètement mais avec fermeté ", confie un prélat, sa façon de penser. Dans la presse, des porte-voix de sectes chrétiennes sionistes dénoncent " l'Iranisation " galopante du pays de leur coeur." Est-il acceptable, demandait ces jours-ci l'un d'entre eux dans le Jérusalem Post, qu'Israël, signataire de la déclaration des droits de l'homme, puisse interdire la possession du NouveauTestament ? ".
Antisémite Monsieur Patrice Claude, tenant à signaler dans Le Monde (28.VI.97) que " leNouveau Testament est menacé d'interdiction en Israël ". Le Saint Siège a réagi " avec vigueur " et convoqué en mai l'ambassadeur d'Israël au Vaticanpour lui dire, " discrètement mais avec fermeté ", confie un prélat, sa façon de penser. Dans la presse, des porte-voix de sectes chrétiennes sionistes dénoncent " l'Iranisation " galopante du pays de leur coeur." Est-il acceptable, demandait ces jours-ci l'un d'entre eux dans le Jérusalem Post, qu'Israël, signataire de la déclaration des droits de l'homme, puisse interdire la possession du NouveauTestament ? ".
Tout a commencé à la fin février à la Knesset avec l'adoption, en lecture préliminaire, d'un projet de loi bannissant, sous peine d'un an de prison, " la possession, l'impression, ladiffusion ou l'importation de brochures ou matériels contenant un élément de persuasion auchangement de religion ". La Bible Chrétienne " tombe évidemment dans cette catégorie etplusieurs évêques ont fait part aux instances israéliennes de leur " mécontentement " à propos d'un texte " qui reflète une attitude hostile et non démocratique ".
De même est-il antisémite le journaliste de " Haaretz " qui constate - pour le condamner - que ce projet de loi désigne comme criminelle " ...toute personne qui détient, sans autorisation valable, le Nouveau Testament dans sa bibliothèque, les lecteurs de Quo Vadis ? ou decertains livres de Graham Greene... "." On n'a jamais vu en Israël des mesures législatives de ce genre même contre la littérature pornographique ", écrit ce journaliste.
Antisémite de même, le professeur Zimmermann, chef du département des études germaniques à l'université hébraïque de Jérusalem quand il définit, dit-il, " sans hésitation, un secteur entier de la population juive comme une copie des nazis allemands ?".Antisémite, Madame Léa Rabin, quand elle déclare au Journal du Dimanche (14.IX.97)" Dans mes pires cauchemars, je n'aurais pu imaginer que nous puissions en arriver là (en Israël)". Antisémite, Amos Oz, l'écrivain israélien connu, quand il exprime la même angoisse face à la
montée de la violence des extrémistes :" ... Des fanatiques se sont présentés l'autre jour devant la porte de la prison de Beersheba, lesbras chargés de fleurs, de gâteaux et autres cadeaux : ils venaient fêter l'anniversaire du meurtrier de Rabin et lui manifester leur solidarité ". Antisémite, la fille du Général Peled qui déclarait après la mort de son enfant de 14 ans, tué dans un attentat ? (le Monde 9.IX.97) :" Ma fille est une victime de la paix. Je n'ai rien contre les terroristes, je me plains de ce gouvernement. Cette attaque démontre combien mon père avait raison : seule la formule de deux États pour deux nations séparées par une frontière et incluant la partition de Jérusalem constitue la solution. Ces attentats sont la conséquence directe de l'oppression, de l'esclavage, des humiliations et de l'état de siège imposés par Israël au peuple palestinien.
Ces attaques sont des réponses à nos actes. Je n'ai là-dessus aucun doute : ces attentats sont le fruit du désespoir et la résultante directe de ce que nous, Israéliens, avons fait jusqu'ici dans les territoires.Ce gouvernement fait tout ce qu'il peut pour détruire la paix. Je n'ai pas de critique particulière à l'encontre des terroristes du Hamas, c'est nous qui les avons fabriqués. Côté palestinien, il n'y a pas une famille qui n'ait été atteinte par la mort que sème Israël. Tout ce que nous faisons dans les territoires, c'est de produire chaque semaine quelques kamikazes potentiels de plus. Ils sont notre miroir. Bien sûr, le terrorisme auquel ils se livrent paraît plus atroce que les bombardement perpétrés par notre armée sur les camps de réfugiés, mais au fond, les dommages que nous causons sont pires (...)." Oui, ma fille est une victime de la paix, et c'est pourquoi elle reposera aux côtés de songrand-père ".
Antisémite, Monsieur Barton Gellman qui écrit dans le Washington Post et dans Jeune Afrique(29.X.97), qu'en Israël " l'assassinat est considéré comme une méthode du gouvernement ? ".Antisémite, Monsieur Finkielkraut qui, sous le titre :Israël : la catastrophe, écrit dans Le Monde du 18.XII.96," La solidarité avec Israël changerait de nature si elle acceptait sans coup férir, que le dernier mot revienne aux cow-boys à mitraillette et à kipa."
On a reproché à Roger Garaudy les mots " lobby pro-israélien ", mais c'est le titre d'un article de Monsieur Serge Halimi dans Le monde Diplomatique où il écrit :" Il est difficile de surestimer l'influence politique de l'American Israeli Public Affairs Committee, ou AIPAC. Organisé dans chaque État Américain, disposant d'un budget qui a quadruplé de 1982 à 1988, assisté par ses cinquante-cinq mille adhérents (un nombre qui a quintuplé en 8 ans), il est devenu ce que le New York Times appelle " un modèle pour les autres lobbies ", le " lobby le plus efficace, une " force majeure dans la politique américaine auProche-Orient ".
Une guerre culturelle déchire Israël aujourd'hui. Guerre entre religieux et laïcs, guerre entre partisans de la paix et partisans de la guerre." Dans le désert qu'il traverse, Israël a besoin d'amis lucides ", écrit Thomas Friedman dans le" New York Times " (22.IV.97).Cette lucidité courageuse à l'égard d'Israël, beaucoup de juifs de la diaspora ont su la montrer à telle ou telle occasion. Ils ne tombent heureusement pas sous le coup de votre loi. La question posée par ces poursuites est claire : les héritiers de Montaigne et de Zola n'auraient-ils donc pas le droit de s'exprimer, à propos d'Israël, avec la même liberté que ses citoyens ou ses amis dans la diaspora?
Mais la loi Gayssot, me dira-t-on ?
Dans le " Jewish Chronicle " (14.II.97) qui est le principal hebdomadaire de la communauté juive en Angleterre, Monsieur Chaïm Bermant réplique fort bien aux tenants de cette loi :" ... Il est presque incroyable que des juifs, qui sont parmi les peuples ceux qui doivent leur survie au fait de vivre dans une société libre, puissent être prêts à supprimer cette liberté (...). La liberté d'outrager ou de causer un tort fait partie précisément de la liberté d'expression ".Répondant à l'argument selon lequel l'Allemagne et la France se sont déjà dotées de lois de ce genre, Chaïm Bermant ajoute :" C'est vrai, mais je n'ai jamais considéré que l'Allemagne ou la France soient sur ce sujet desexemples en matière de respect des libertés ".
Monsieur le Président, Mesdames, vous ne pouvez acquiescer à ce que les parties civiles vous demandent.
Vous ne pouvez faire de votre Tribunal, le gardien d'une vérité officielle alors que l'Histoire est une perpétuelle relecture et remise en cause. Ce procès porte atteinte au principe de liberté tel qu'il est affirmé dans l'article 10 de laConvention Européenne des Droits de l'Homme.
Article. 10
Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et laliberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontières ...
Et dans l'article 19, du pacte International relatif aux droit civils et politiques.
Article 19
1 - " Nul ne peut être inquiété pour ses opinions.
2 - Tout personne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce... "
Ce procès viole le principe d'égalité tel que défini par l'article 14 de la Convention Européenne
des Droits de l'Homme.
Article 14
" La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ".
Ce procès viole enfin le principe de la légalité des incriminations. L'incrimination ne répond pas en effet ici, à l'exigence de précision. Stendhal admirait le style du code pour sa précision, définition précise du licite, et de l'interdit,des droits et des devoirs de chacun. Il n'avait pas relu le code revu par Monsieur Gayssot, notre nouveau Portalis. Le mot contester, sans aucune autre précision est une notion trop large dans un texte qui doit être interprété d'une manière restrictive . Quand un terrain est miné, comme vous l'avez dit, Monsieur le Président, quand les mots sont plombés, comme l'écrit un chroniqueur (Figaro du 10.I.98), quand les sous-entendus accusent Roger Garaudy, comme l'écrit un autre (Le Monde - 11.I.98), nous sommes dans le domaine de l'arbitraire absolu.
Vous ne pouvez pas acquiescer.
Les parties civiles ont peu parlé de Zola en ces jours anniversaires. La raison en est évidente. Le combat de Zola contre l'injustice, c'est nous qui le menons aujourd'hui. Dans la guerre culturelle qui déchire Israël, les parties civiles vous demandent de prendre le parti des fondamentalistes, vous ne pouvez acquiescer.
Condamner le doute, c'est condamner Garaudy , mais c'est aussi condamner Descartes :" ... je désirais vaquer seulement à la recherche de la vérité, je pensais qu'il fallait que je rejetasse comme absolument faux tout ce en quoi je pourrais imaginer le moindre doute, afin de voir s'il ne me resterait point après cela quelque chose en ma créance qui fût entièrement indubitable " DESCARTES, Disc. méthode, IVe part.
C'est aussi condamner Claude Bernard :
" le grand principe expérimental est donc le doute, le doute philosophique qui laisse à l'esprit sa liberté et son initiative, et d'où dérivent les qualités les plus précieuses pour un investigateur en physiologie et en médecine. Il ne faut croire à nos observations, à nos théories, que sous bénéfice d'inventaire expérimental ".Cl. BERNARD, Introd. à l'Et. méd.expér., I, II p. 76.
Le doute décrit Balzac, n'est ni une impureté, ni un blasphème, ni un crime (Séraphita).L'appétit de savoir naît du doute lui répond Gide en écho (Nouvelles Nourritures).
Garaudy ne nie rien du crime. Il ne le conteste pas. Il s'interroge seulement comme beaucoup
d'autres sur son ampleur. Il s'interroge comme beaucoup d'autres sur l'arme qui n'est pas
unique du crime.
d'autres sur son ampleur. Il s'interroge comme beaucoup d'autres sur l'arme qui n'est pas
unique du crime.
Une interprétation restrictive conformément aux principes généraux du droit de l'article 24 bis,doit vous permettre de prononcer la relaxe de cet homme que l'Abbé Pierre honore d'une amitié de 40 ans, en qui Yéhudi Ménuhin reconnaît son père le rabbin Moshe Menuhin, mais personnifié dans le cadre de la foi musulmane.
À moins que vous n'acceptiez notre exception préjudicielle et soumettiez à la Cour Européenne des Droits de l'Homme, le texte de la loi Gayssot pour savoir si elle est conforme àla Déclaration Européenne des Droits de l'Homme.
Monsieur GARAUDY vous réclame simplement le droit de parler d'Israël avec autant de liberté qu'un juif.
Ce qu'on vous demande aujourd'hui, c'est, en vertu d'une loi scélérate, de monter la garde autour d'un mensonge, à savoir l'exclusivité allemande du crime contre l'humanité, mensonge d'autant plus sacrilège que le monde, aujourd'hui sue le crime par tous ses pores.
Ce qu'on vous demande, c'est de mener contre la liberté de l'esprit un procès en sorcellerie qui fait de la France la risée de ceux-là même que la loi prétend protéger.
Mais, en prenant la loi telle qu'elle est, en l'interprétant selon des principes, vous avez le droit et le devoir de dire NON, pour l'honneur de la France et de la République.
Jacques Vergès, plaidoirie reproduite dans "Le procès de la liberté", R. Garaudy et J. Vergès, Editions Vent du large, Paris, 1998, pages 109 à 131
18 janvier 2011
Une télévision contre la société
L'on a déjà dit à propos de la démocratie athénienne: tout y dépendait du peuple et le peuple de la parole (de ses sophistes et de ses rhéteurs).
L'opinion publique, censée aujourd'hui s'exprimer dans des élections (de plus en plus désertées par les abstentions tant leur influence sur la vie est si peu réelle) est dans l'étroite dépendance de la télévision, qu'elle soit un organe de l'Etat et du gouvernement, ou des chaînes privées aux mains de grandes entreprises, ou qu'elle s'impose internationalement par le monopole mondial de la désinformation comme la CNN américaine.
Leur caractère commun est d'être soumises aux lois du marché et à ce monothéisme du marché dont l'orthodoxie est rigoureusement contrôlée par les Etats-Unis.
L'information (langage ou image) est une marchandise, soumise comme telle aux exigences de la concurrence et de la compétitivité, où l'argent exerce une censure plus implacable encore que les régimes les plus totalitaires.
Elle dicte les programmes en fonction de l'audimat qui, sous prétexte que le consommateur aime çà, privilégie le sensationnel, la violence, le sexe ou la nouveauté à tout prix (la course au scoop excluant toute analyse, toute réflexion critique, toute culture et toute compréhension du fait pour être le premier à livrer la pâture.)
Le sensationnel est primordial.
Qu'est-ce qu'un fait journalistique? Ce n'est pas ce qui vous aide à prendre conscience des tendances lourdes de la société, à vous situer en elle et à vous suggérer votre responsabilité dans ses inflexions. C'est ce qui fait vendre lorsqu'il s'agit de la presse écrite ou augmente l'audimat de la chaîne télévisée (et par conséquent le volume et le tarif de publicité qui en découlent).
Si vous aimez votre femme, cela n'intéresse personne. Si vous la tuez, c'est déjà un fait divers qui vous vaudra un entrefilet dans le journal ou 27 secondes au journal télévisé. Si vous la coupez en morceaux, cela vaut une colonne ou trois minutes d'émission. Si vous la mangez (comme le fit récemment un Japonais) c'est la gloire.
L'exploitation commerciale de ce sadisme n'a point de bornes: depuis la projection en direct de l'agonie d'une petite fille dans un marécage, jusqu'à la présentation journalistique de l'exécution d'une femme condamnée à mort et achevée quatorze ans après son crime, en y ajoutant l'image de l'hilarité sadique de ceux qui apprennent la nouvelle et la fêtent dans un bistrot à grandes lampées de whisky.
La violence aussi paye bien: le déferlement des thrillers américains en témoigne. Et, comme les MacDonalds, elle fascine tout particulièrement les enfants qui y trouvent même, outre l'agressivité croissante et la délinquance juvénile, des modèles de technique du meurtre dont il arrive de plus en plus souvent, et pour de plus en plus de jeunes, de s'inspirer.
Pour les adultes l'image menteuse ou l'interview truqué ont une conséquence plus meurtrière encore: lorsqu'à Timisoara on tire de la morgue les cadavres d'une mère et d'un enfant (morts à des moments différents) et que le montage est réussi, l'on fait croire à un massacre sauvage qui conditionne l'opinion pour la modeler selon les besoins politiques du moment.
Lorsqu'à la télévision américaine un témoin oculaire raconte comment des soldats irakiens ont tiré des nouveaux-nés de leurs couveuses et les ont fracassés sur le sol, le président Bush invoque ce témoignage pour faire accepter à l'opinion le massacre d'un peuple aussi barbare, et, plusieurs années plus tard, l'assassinat par l'embargo d'un enfant toutes les six minutes.
Et puis, l'oeuvre accomplie, il est révélé que le témoin oculaire était la fille de l'ambassadeur du Koweït qui n'avait pas mis les pieds dans son pays au moment où s'y trouvaient les troupes irakiennes.
C'est là l'un des chefs-d'oeuvre de l'efficacité de l'image, non seulement marchandise mais arme de guerre.
Le dressage et la banalisation de la violence commence tôt. Les statistiques américaines estiment qu'un enfant de six à quinze ans dépense environ quarante heures par semaine à regarder la télé ou à manipuler des jeux vidéos (où l'on peut par exemple se prendre pour un champion sportif en tripotant des boutons sans effort pour réaliser une performance.)
A tous les niveaux, la télévision cultive la passivité et s'oriente vers le nivellement par le bas, sous prétexte que le public veut çà, n'ayant en effet le choix qu'entre les productions de ces directeurs de conscience inconscients, des sous-hommes promus vedettes des spectacles de variétés et des programmateurs de films.
Une anticulture, fabriquée à Hollywood par les élites monétaires du monde, est relayée, de Dakar à Paris ou à Taipeh, par les cinémas, les télévisions, les cassettes vidéo.
La fréquentation des cinémas, l'audience des films, les relevés de prêts des vidéothèques, les taux d'écoute des télévisions l'attestent: l'écrasante majorité des images de la vie diffusées dans le monde tend à banaliser la violence et l'épouvante, et ce sont les thrillers; à exalter le mythe du plus fort et de l'invincible, de Tarzan à James Bond; le racisme, et ce sont les westerns; l'ordre et la loi, et ce sont les polars.
Culte des idoles et idolâtrie de leurs plus fausses vies, avec tous les ersatz de la drogue et du décibel.
Tel est le résultat de l'entrée de la télévision dans la logique du marché et de sa liturgie publicitaire.
M. Hersant, énonçait clairement la loi dominante: "Je dis qu'un film est bon ou qu'un programme est bon lorsqu'il fournit un bon support aux messages publicitaires."
Ainsi s'instaure la dictature de l'audimat, mesurant le nombre de téléspectateurs d'une émission. L'audimat conditionne à la fois les prix de la publicité et les crédits accordés aux programmes. L'un des producteurs d'émissions de variétés à TFI, M. Albert Ensalem, déclare à Télérama: "Plus on est au ras des pâquerettes, plus on fait de l'audience; c'est comme ça. Est-ce qu'on doit faire intelligent contre les téléspectateurs? Eux ils n'ont pas à réfléchir. Alors arrêtons de jouer aux donneurs de leçons."
Il y a là une incitation permanente et décisive au racolage, à la démagogie, à la veulerie courtisane à l'égard d'une opinion publique manipulée par la publicité, les médias, la télévision elle-même qui, ainsi, ne raconte pas l'histoire, elle la fait. Dans le sens de l'abandon, de l'aveuglement du marché et de la désintégration de tout esprit critique et de tout esprit de responsabilité. Depuis les sondages faits non pour refléter l'opinion mais pour la manipuler, la suffocante ineptie des jeux télévisés et des loteries, faisant miroiter les chances de l'argent facile, jusqu'à des informations qui n'en sont pas, où l'on nous soumet à la contemplation hébétée des catastrophes du monde. Tout tend, par opportunisme commercial, à infantiliser l'opinion, sans rien, (sauf à dose homéopathique et après onze heures du soir) qui puisse nous aider à comprendre les événements de cette fin du deuxième millénaire, ou, au moins, nous montrer le spectacle d'une vie proprement humaine.
L'argument selon lequel le public ne veut pas autre chose est une imposture: on ne lui laisse en effet choisir, dans les sondages,qu'entre le détestable et le pire.
Gérard Philippe jouait le Cid devant un public de quinze mille spectateurs enthousiastes, et Jean Vilar faisait salle comble au palais de Chaillot comme dans des théâtres de banlieue en jouant aussi bien des tragiques grecs que des pièces de Bertold Brecht.
Ce n'est donc pas le public qui est coupable, mais ceux qui le décivilisent.
Il y a là une forme de pollution des esprits, plus dangereuse que tout autre atteinte à la santé de l'environnement naturel ou spirituel.
C'est pourquoi, dans l'esprit de la Déclaration des devoirs, le prétendu libéralisme ne doit pas laisser le droit de tuer l'esprit comme les corps, à de prétendus journalistes vedettes qui n'ont même pas conscience des finalités et des responsabilités éducatrices de leur mission.
Il est paradoxal qu'on exige des médecins, après leurs études professionnelles pour soigner les corps, un serment d'Hippocrate, et qu'à ceux qui, chaque jour, devraient avoir pour mission d'apprendre à des millions d'auditeurs ou de lecteurs à se poser des questions sur le train du monde et sur leur responsabilité personnelle, critique, dans la préparation du futur, on ne demande rien de semblable. Recrutés soit à partir d'écoles de journalisme plus enclines à enseigner des techniques d'efficacité que des réflexions sur les finalités, ou, pire encore, à partir de ratés des autres professions: faire un critique d'art ou de musique, de celui qui n'a pu devenir un créateur en peinture ou en musique, et qui n'en possède que des rudiments culturels propres à encenser les modes du jour ou les calculs des marchands, il ne leur est demandé aucune garantie de responsabilité.
Pourquoi pas, comme au terme des études médicales, un serment d'Hippocrate, ne pas exiger, après leur avoir enseigné au moins des rudiments de culture et une interrogation véritable sur les finalités humaines de leur métier, un serment d'Hermès sur la déontologie du porteur de messages?
Cela ne suffirait pas, mais déjà attirerait l'attention sur l'un des problèmes majeurs de notre temps. Ce n'est pas seulement une école qui peut suffire à ce redressement.
Tous les membres de la société civile, doivent être associés au contrôle de la programmation et de la gestion de la télévision telles que des associations d'auditeurs et participants des organes fondamentaux de la société: syndicats ouvriers ou agricoles, universités, groupements culturels d'artistes ou de membres des professions libérales ou artisanales. Il s'agit d'obtenir le contrôle de tout un peuple et non pas de subir les dictatures ou les censures de tel ou tel parti, de telle entreprise de communication à finalité commerciale, de tels groupements de publicité qui financent et télécommandent les programmations.
Là comme ailleurs il ne s'agit pas de réformes mais de mutation car en ce domaine comme en tout autre, de l'économie à la politique et à l'éducation, la pire utopie c'est le statu quo.
Roger Garaudy, L'avenir mode d'emploi, Ed. vent du large, 1998, pages 94 à 100
L'opinion publique, censée aujourd'hui s'exprimer dans des élections (de plus en plus désertées par les abstentions tant leur influence sur la vie est si peu réelle) est dans l'étroite dépendance de la télévision, qu'elle soit un organe de l'Etat et du gouvernement, ou des chaînes privées aux mains de grandes entreprises, ou qu'elle s'impose internationalement par le monopole mondial de la désinformation comme la CNN américaine.
Leur caractère commun est d'être soumises aux lois du marché et à ce monothéisme du marché dont l'orthodoxie est rigoureusement contrôlée par les Etats-Unis.
L'information (langage ou image) est une marchandise, soumise comme telle aux exigences de la concurrence et de la compétitivité, où l'argent exerce une censure plus implacable encore que les régimes les plus totalitaires.
Elle dicte les programmes en fonction de l'audimat qui, sous prétexte que le consommateur aime çà, privilégie le sensationnel, la violence, le sexe ou la nouveauté à tout prix (la course au scoop excluant toute analyse, toute réflexion critique, toute culture et toute compréhension du fait pour être le premier à livrer la pâture.)
Le sensationnel est primordial.
Qu'est-ce qu'un fait journalistique? Ce n'est pas ce qui vous aide à prendre conscience des tendances lourdes de la société, à vous situer en elle et à vous suggérer votre responsabilité dans ses inflexions. C'est ce qui fait vendre lorsqu'il s'agit de la presse écrite ou augmente l'audimat de la chaîne télévisée (et par conséquent le volume et le tarif de publicité qui en découlent).
Si vous aimez votre femme, cela n'intéresse personne. Si vous la tuez, c'est déjà un fait divers qui vous vaudra un entrefilet dans le journal ou 27 secondes au journal télévisé. Si vous la coupez en morceaux, cela vaut une colonne ou trois minutes d'émission. Si vous la mangez (comme le fit récemment un Japonais) c'est la gloire.
L'exploitation commerciale de ce sadisme n'a point de bornes: depuis la projection en direct de l'agonie d'une petite fille dans un marécage, jusqu'à la présentation journalistique de l'exécution d'une femme condamnée à mort et achevée quatorze ans après son crime, en y ajoutant l'image de l'hilarité sadique de ceux qui apprennent la nouvelle et la fêtent dans un bistrot à grandes lampées de whisky.
La violence aussi paye bien: le déferlement des thrillers américains en témoigne. Et, comme les MacDonalds, elle fascine tout particulièrement les enfants qui y trouvent même, outre l'agressivité croissante et la délinquance juvénile, des modèles de technique du meurtre dont il arrive de plus en plus souvent, et pour de plus en plus de jeunes, de s'inspirer.
Pour les adultes l'image menteuse ou l'interview truqué ont une conséquence plus meurtrière encore: lorsqu'à Timisoara on tire de la morgue les cadavres d'une mère et d'un enfant (morts à des moments différents) et que le montage est réussi, l'on fait croire à un massacre sauvage qui conditionne l'opinion pour la modeler selon les besoins politiques du moment.
Lorsqu'à la télévision américaine un témoin oculaire raconte comment des soldats irakiens ont tiré des nouveaux-nés de leurs couveuses et les ont fracassés sur le sol, le président Bush invoque ce témoignage pour faire accepter à l'opinion le massacre d'un peuple aussi barbare, et, plusieurs années plus tard, l'assassinat par l'embargo d'un enfant toutes les six minutes.
Et puis, l'oeuvre accomplie, il est révélé que le témoin oculaire était la fille de l'ambassadeur du Koweït qui n'avait pas mis les pieds dans son pays au moment où s'y trouvaient les troupes irakiennes.
C'est là l'un des chefs-d'oeuvre de l'efficacité de l'image, non seulement marchandise mais arme de guerre.
Le dressage et la banalisation de la violence commence tôt. Les statistiques américaines estiment qu'un enfant de six à quinze ans dépense environ quarante heures par semaine à regarder la télé ou à manipuler des jeux vidéos (où l'on peut par exemple se prendre pour un champion sportif en tripotant des boutons sans effort pour réaliser une performance.)
A tous les niveaux, la télévision cultive la passivité et s'oriente vers le nivellement par le bas, sous prétexte que le public veut çà, n'ayant en effet le choix qu'entre les productions de ces directeurs de conscience inconscients, des sous-hommes promus vedettes des spectacles de variétés et des programmateurs de films.
Une anticulture, fabriquée à Hollywood par les élites monétaires du monde, est relayée, de Dakar à Paris ou à Taipeh, par les cinémas, les télévisions, les cassettes vidéo.
La fréquentation des cinémas, l'audience des films, les relevés de prêts des vidéothèques, les taux d'écoute des télévisions l'attestent: l'écrasante majorité des images de la vie diffusées dans le monde tend à banaliser la violence et l'épouvante, et ce sont les thrillers; à exalter le mythe du plus fort et de l'invincible, de Tarzan à James Bond; le racisme, et ce sont les westerns; l'ordre et la loi, et ce sont les polars.
Culte des idoles et idolâtrie de leurs plus fausses vies, avec tous les ersatz de la drogue et du décibel.
Tel est le résultat de l'entrée de la télévision dans la logique du marché et de sa liturgie publicitaire.
M. Hersant, énonçait clairement la loi dominante: "Je dis qu'un film est bon ou qu'un programme est bon lorsqu'il fournit un bon support aux messages publicitaires."
Ainsi s'instaure la dictature de l'audimat, mesurant le nombre de téléspectateurs d'une émission. L'audimat conditionne à la fois les prix de la publicité et les crédits accordés aux programmes. L'un des producteurs d'émissions de variétés à TFI, M. Albert Ensalem, déclare à Télérama: "Plus on est au ras des pâquerettes, plus on fait de l'audience; c'est comme ça. Est-ce qu'on doit faire intelligent contre les téléspectateurs? Eux ils n'ont pas à réfléchir. Alors arrêtons de jouer aux donneurs de leçons."
Il y a là une incitation permanente et décisive au racolage, à la démagogie, à la veulerie courtisane à l'égard d'une opinion publique manipulée par la publicité, les médias, la télévision elle-même qui, ainsi, ne raconte pas l'histoire, elle la fait. Dans le sens de l'abandon, de l'aveuglement du marché et de la désintégration de tout esprit critique et de tout esprit de responsabilité. Depuis les sondages faits non pour refléter l'opinion mais pour la manipuler, la suffocante ineptie des jeux télévisés et des loteries, faisant miroiter les chances de l'argent facile, jusqu'à des informations qui n'en sont pas, où l'on nous soumet à la contemplation hébétée des catastrophes du monde. Tout tend, par opportunisme commercial, à infantiliser l'opinion, sans rien, (sauf à dose homéopathique et après onze heures du soir) qui puisse nous aider à comprendre les événements de cette fin du deuxième millénaire, ou, au moins, nous montrer le spectacle d'une vie proprement humaine.
L'argument selon lequel le public ne veut pas autre chose est une imposture: on ne lui laisse en effet choisir, dans les sondages,qu'entre le détestable et le pire.
Gérard Philippe jouait le Cid devant un public de quinze mille spectateurs enthousiastes, et Jean Vilar faisait salle comble au palais de Chaillot comme dans des théâtres de banlieue en jouant aussi bien des tragiques grecs que des pièces de Bertold Brecht.
Ce n'est donc pas le public qui est coupable, mais ceux qui le décivilisent.
Il y a là une forme de pollution des esprits, plus dangereuse que tout autre atteinte à la santé de l'environnement naturel ou spirituel.
C'est pourquoi, dans l'esprit de la Déclaration des devoirs, le prétendu libéralisme ne doit pas laisser le droit de tuer l'esprit comme les corps, à de prétendus journalistes vedettes qui n'ont même pas conscience des finalités et des responsabilités éducatrices de leur mission.
Il est paradoxal qu'on exige des médecins, après leurs études professionnelles pour soigner les corps, un serment d'Hippocrate, et qu'à ceux qui, chaque jour, devraient avoir pour mission d'apprendre à des millions d'auditeurs ou de lecteurs à se poser des questions sur le train du monde et sur leur responsabilité personnelle, critique, dans la préparation du futur, on ne demande rien de semblable. Recrutés soit à partir d'écoles de journalisme plus enclines à enseigner des techniques d'efficacité que des réflexions sur les finalités, ou, pire encore, à partir de ratés des autres professions: faire un critique d'art ou de musique, de celui qui n'a pu devenir un créateur en peinture ou en musique, et qui n'en possède que des rudiments culturels propres à encenser les modes du jour ou les calculs des marchands, il ne leur est demandé aucune garantie de responsabilité.
Pourquoi pas, comme au terme des études médicales, un serment d'Hippocrate, ne pas exiger, après leur avoir enseigné au moins des rudiments de culture et une interrogation véritable sur les finalités humaines de leur métier, un serment d'Hermès sur la déontologie du porteur de messages?
Cela ne suffirait pas, mais déjà attirerait l'attention sur l'un des problèmes majeurs de notre temps. Ce n'est pas seulement une école qui peut suffire à ce redressement.
Tous les membres de la société civile, doivent être associés au contrôle de la programmation et de la gestion de la télévision telles que des associations d'auditeurs et participants des organes fondamentaux de la société: syndicats ouvriers ou agricoles, universités, groupements culturels d'artistes ou de membres des professions libérales ou artisanales. Il s'agit d'obtenir le contrôle de tout un peuple et non pas de subir les dictatures ou les censures de tel ou tel parti, de telle entreprise de communication à finalité commerciale, de tels groupements de publicité qui financent et télécommandent les programmations.
Là comme ailleurs il ne s'agit pas de réformes mais de mutation car en ce domaine comme en tout autre, de l'économie à la politique et à l'éducation, la pire utopie c'est le statu quo.
Roger Garaudy, L'avenir mode d'emploi, Ed. vent du large, 1998, pages 94 à 100
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