Ma vie d'homme a commencé lorsque
je suis devenu militant révolutionnaire
pour réaliser les exigences de ma foi de chrétien.
Ma vie a pris tout son sens
lorsque j'ai découvert, dans ma foi, le fondement de mon
action révolutionnaire.
Cette foi ne consiste pas à
adhérer à un catalogue de vérités toutes faites, mais à
s'ouvrir à une création, à engager son existence
sur un style de vie.
La foi, c'est ce qui nous met en
marche.
De quelle foi s'agit-il? Foi en
Dieu? Foi en l'homme?
Hokusaï. La grande vague |
Cette transcendance ne tombe pas
du ciel; elle émerge de l'histoire.
Elle émerge des révolutions de
l'histoire.
Elle émerge avec plus d'évidence
encore des exigences révolutionnaires de
notre temps.
Les révolutions modernes, qu'il
s'agisse de la Révolution française ou des
révolutions socialistes conçues par Marx, étaient fondées
sur le postulat selon lequel le développement des
sciences, des
techniques, de la production,
était en soi un bien et constituait la condition,
sinon unique du moins essentielle, du plein épanouissement de l'homme.
Dans le cas de la Révolution
française, avant 1789, la bourgeoisie détenait
déjà les forces d'avenir de l'économie (l'industrie, le
commerce, la banque). La révolution consistait à faire
correspondre un nouveau régime politique à cette
réalité économique déjà existante, à assurer la
cohérence intérieure du système en mettant les rapports
sociaux, les institutions politiques et les normes de la
culture en harmonie avec les exigences d'un
essor sans entraves des forces productives.
Le problème de la révolution ne
change pas de nature lorsque Marx fait, dans Le
Capital, la démonstration que les structures
sociales et politiques instaurées par la Révolution
française, et qui avaient jusque-là permis l'essor
des forces productives, devenaient désormais un frein à
ce développement. Une fois encore c'est au nom
d'une loi de correspondance entre les
rapports de production et l'état des forces productives que
se justifie la nécessité d'une révolution.
Le fondement philosophique d'une
telle mutation, dans les deux cas, exclut toute
référence à des fins extérieures au système,
toute transcendance, puisque cette réorganisation
structurelle s'opère à
partir d'une exigence intérieure
au système : le développement des forces
productives, et la restructuration de tous les autres rapports
sociaux pour briser les obstacles à ce
développement.
En revanche, lorsque les
postulats de la renaissance occidentale sur les vertus du
progrès scientifique et technique et de l'expansion
économique sont mis en question, lorsqu'il apparaît
que ces objectifs de puissance et de profit ont
conduit à la destruction
de la nature à force de la
considérer uniquement comme un réservoir et un
dépotoir; à l'aliénation et à la manipulation de l'homme
réduit à n'être que producteur et consommateur; à la
crise de l'espérance devant un morne avenir qui ne
serait plus émergence
du nouveau, transcendance et
création, mais simple prolongement des dérives
du passé et du présent, alors il devient de plus
en plus clair que les fins de notre société ne peuvent
plus être cherchées à l'intérieur de notre système
occidental, mais à l'extérieur. Non plus dans
une « science » qui n'est pas la science, mais
simplement la science occidentale, mais dans une
sagesse plus vaste, permettant de penser et de vivre
des rapports infiniment plus riches avec la
nature, avec les autres hommes, avec tous les possibles
d'un avenir qui soit émergence poétique de l'homme.
Le fondement théorique d'une
révolution ne pouvait donc plus être une loi
de correspondance mais un principe de transcendance,
nous donnant conscience que nous sommes
pleinement responsables de l'invention du futur.
Le capitalisme a engendré une
société sans finalité humaine, dont la
croissance sauvage est le dieu caché.
[…]
Dans cette crise de l'homme, sur quoi peut se fonder notre espérance?
Dans cette crise de l'homme, sur quoi peut se fonder notre espérance?
Pas sur l'optimisme béat de la
philosophie des « lumières », du progrès, et de
la croissance économique, ni sur une conception dogmatique
selon laquelle le socialisme serait «
nécessaire » parce que la dialectique de l'histoire
serait un cas particulier d'une dialectique plus générale,
valant pour la nature et les choses, très proche
d'une théologie laïcisée de la Providence.
Pas davantage sur une dialectique
de la misère et de la colère, de l'oppression et
de la révolte : d'abord parce que la misère n'est
pas révolutionnaire (Marx lui-même ne fondait pas son
espoir sur
le sous-prolétariat) ; ensuite
parce que la consciencerévolutionnaire ne naît pas
spontanément, ni de l'évolution ni de sa négation;
enfin parce qu'il n'y a pas de « déterminisme économique
» : Marx a maintes fois souligné que ce sont
les hommes qui font l'histoire, que tout passe à
travers des consciences et des volontés d'hommes. Il y a
des conditions "subjectives " indispensables à la révolution. A ceux qui les oubliaient, Lénine
reprochait de devenir « opportunistes à
force d'objectivité ».
Nous ne pouvons compter, pour
fonder notre espérance, sur aucune complicité
dans le mouvement spontané, immanent, des choses et
de l'histoire. Nous ne pouvons être portés ni
par les dérives
suicidaires du monde capitaliste,
ni par leur simple négation et les révoltes qu'elle
engendre, ni par les simples transferts de pouvoir,
d'avoir, et de savoir, à quoi l'on a prétendu réduire un
socialisme qui
perpétuerait les aliénations du
vieux monde.
Hokusaï. Chöshi dans la province de Shöshü. Vers 1830-1834 |
Le socialisme est plus que jamais
à l'ordre du jour immédiat. Si nous ne voulons
pas nous abandonner aux crises convulsives
de plus en plus profondes de l'économie, de la
politique et de la culture du capitalisme, et si
nous ne réduisons pas le socialisme à un autre mode de
gestion de ces crises, le socialisme demeure le
seul projet capable d'assurer non seulement la
nécessaire mutation de notre monde, mais la survie des
hommes.
Ce projet reste à inventer et à réaliser.
Roger Garaudy
Parole d’homme, Edition Points-poche, 1975
Pages 225 à 228
Parole d’homme, Edition Points-poche, 1975
Pages 225 à 228