15 juillet 2012

Roger Garaudy: les vraies raisons d’une double occultation

«Je voudrais que rien de ce qui me fut apporté par tant de combats, de chutes et d’erreurs, d’épreuves et de rencontres fraternelles, ne fût enseveli avec moi.» ( Roger Garaudy).
Fallait-il que Roger GARAUDY s’excuse d’avoir existé, de la façon que l’on sait, pour mériter un hommage, même des moins solennels? C’est là une raison pour rappeler à ceux qui ont un problème de mémoire qu’enterrer une conscience vivante est la meilleure manière de la maintenir en vie!
La presse occidentale, à l’exclusivité presque, a passé sous silence sa disparition, elle qui d’habitude met les détails les moins signifiants, et les personnages les plus insignifiants, sous les feux des projecteurs. Relayée par un dispositif médiatique arabo-oriental tout aussi défaillant que suiviste, elle en a fait un non-événement, de la manière la plus choquante qui donne à s’apitoyer sur la réalité d’un phénomène de société qui n’a d’autre nom que la guerre aux valeurs.
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 Aurait-il coûté à quiconque de plaindre un monde des valeurs déchues, comme le nôtre, qui vient de perdre un auteur prolifique et un orateur de grand talent qui a toujours épousé la cause des plus démunis et défendu les peuples sans droits?! C’est à ses détracteurs – si le désaveu de leur silence peut les porter au-delà de leur mépris – de répondre!
En fait, c’est en tournant le dos aux idéologies moribondes du marxisme essoufflé, dans un contexte mondial qui n’en fait plus cas, que GARAUDY s’est vu extrader d’un système de pensée arrivant à son terme. Ayant été son chantre et son critique à la fois, des décennies durant, il s’en est démarqué sans pour autant céder d’un pouce sa référentialité et son autorité intellectuelle. On continue à lui reconnaître une théorisation de l’art bien propre à lui, et des échanges historiques, avec Sartre particulièrement, sur l’engagement de l’intellectuel que la mémoire collective continue de qualifier d’inédits.
Et c’est en cessant d’être athée à partir de la fin des années soixante-dix du siècle dernier, que GARAUDY a commencé à indisposer les milieux judéo-chrétiens, gênés par une conversion à l’Islam qui en dit long sur une «hémorragie» qui s’attelle à vider le système culturel occidental de beaucoup de ses élites, les poussant à aller chercher leurs repères métaphysiques ailleurs qu’en Europe et en Amérique.
Roger GARAUDY, s’il ya lieu de le rappeler, a essentiellement intégré l’espace culturel oriental à partir de son livre «L’Islam habite notre avenir», que les pratiques de censure dignes du moyen-âge européen ont empêché la diffusion. (Le même sort, à peu près, attendait d’autres titres, tels que « Promesses de l’Islam). Il y a pris place, dès ses premières connexions avec l’Orient, dans toute sa configuration. Il a précocement compris que l’Occident ne peut pas disposer du destin de l’humanité. L’autorité morale lui faisant défaut, il ne peut percevoir la Vérité (avec majuscule) loin de ses aspirations à la suprématie matérielle.
Belle reprise de René GUÉNON, il est vrai, mais plus en rapport avec les données civilisationnelles, que l’ère de GUÉNON n’a pas connu, GARAUDY s’est fort investi dans le dialogue intercivilisationnel dont la perspective, à travers la création, en 1974 à Neuchâtel, de l’« Institut International pour le Dialogue des Civilisations », qui a enfanté l’« Institut Iranien pour le dialogue des Civilisations », en 1977 à Téhéran, co-inauguré avec la princesse d’Iran d’alors, Farah Diba. Cette entreprise, ajoutée à une grande partie de son œuvre écrite, cache le malaise d’un intellectuel occidental se cherchant dans le miroir de l’Autre. Cela incline à dire qu’il s’agit d’un homme dont la synthèse de vie et la substance d’œuvre se résume à la solitude des idées, des situations et des comportements. Son livre autobiographique «Mon tour du siècle en solitaire», publié en 1999, n’en est que révélateur. Il révèle le solitaire autant qu’il caractérise le charisme d’un personnage ayant toujours refusé d’assister en observateur aux changements de son époque, et à ses bouleversements les plus impossibles.
En outre, la jonction avec le guénonisme appelle à éclaircissement. Ce sont deux projets qui n’ont pas eu, à leurs débuts bien entendu, les mêmes assises et les mêmes finalités. Néanmoins, les deux se sont rejoints dans la dénonciation des revers matériels du monde appelé civilisé. Même si GARAUDY en parle peu, il tient de GUÉNON l’obsession de s’affirmer dans un monde de valeurs différent de celui qui l’a enfanté, sans pour autant s’y noyer, en termes d’appartenance ethnique et d’acquis cognitifs, en ceci que ni l’orientalité ni l’occidentalité ne répondent aux critères réducteurs de la géographie et de l’histoire. Cette philosophie est aussi dominante dans le guénonisme qu’elle est omniprésente, selon les contextes de débats, chez GARAUDY. Que ces deux projets se complètent ou se tournent le dos, est un détail qui n’intéresse pas directement notre propos.
C’est cette facette-là de GARAUDY qui me paraît la plus révélatrice de ce qu’il était réellement. Et c’est cette culture du «Moi» intellectuel, jaloux de sa volonté de vivre ses choix qui a à sa charge la confection d’une œuvre qui l’a définitivement voué au silence dictateur des médias et des sphères politico-intellectuelles.

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Yacine BENABID 1

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