Roger Garaudy est mort le 13 juin 2012 Militant infatigable, chef
de file des intellectuels communistes français, puis converti à l'Islam,
Roger Garaudy, est décédé à l'âge de 98 ans. De stature imposante,
lunettes épaisses, regard droit, élégant et fier d'un accent méridional,
il fut considéré comme «l'homme du dialogue des civilisations». Il se
définissait comme un «Don Quichotte» luttant contre les «moulins à vent»
capitalistes. Mais il fut aussi un homme d'appareil. Au sein du Parti
communiste auquel il adhéra à 20 ans, et dont il fut exclu en 1970 Au
bureau politique, il était surnommé «le Cardinal» à la fois pour son
sens de l'autorité et son attirance pour l'Eglise. Il fut, des décennies
durant, prisé des milieux intellectuels et des médias français pour son
oeuvre philosophique et son courage politique. En 1982 il s'est
converti à l'Islam sous le prénom de «Raja'a» (l'espérance). Son livre,
«Les Mythes fondateurs de la politique israélienne», fit de lui un paria
dans le monde politico-médiatique.. Dans ce livre, il évoquait «le
mythe des six millions de juifs exterminés, devenu un dogme justifiant
toutes les exactions de l'Etat d'Israël en Palestine». Un sujet tabou en
France. Il est interné trente mois de 1940 à 1943 dans le camp de
concentration vichyste de Djelfa, en Algérie, . Il échappe à la faim, à
la typhoïde, et à l'exécution, sauvé in extremis par des musulmans
ibadites. (1)
La diabolisation pour avoir dénoncé le sionisme
A partir de 1996 Roger Garaudy fait parler de lui par des prises de
position qualifiées de "négationnistes" par ses détracteurs. « Les
Mythes fondateurs de la politique israélienne, » qui est publié en 1995
Roger Garaudy fait un distinguo net entre le judaïsme respectable et le
sionisme et une idéologie le sionisme. il fut l'objet d'un véritable
lynchage. Il fut diabolisé mis à l’index notamment après la Loi Gayssot
sur les peines encourues pour ceux qui doutent des crimes de masse des
Juifs appelés Shoah. En 1998, au terme de cinq arrêts distincts, la Cour
d'appel de Paris le condamna pour contestation de crimes contre
l'humanité, et provocation à la haine raciale, à 9 mois d'emprisonnement
avec sursis et une forte amende
L’Abbé Pierre eut le
courage de porter témoignage en sa faveur . Nous lisons sa lettre : «
(…) Ton livre le plus récent m’est parvenu alors que j’étais vraiment à
bout de forces pour d’autres tâches pressantes. (…) De ton nouveau livre
il m’est impossible de parler avec tous les soins que réclament non
seulement son sujet fondamental, mais aussi l’étonnante et éclatante
érudition, scrupuleuse, sur laquelle chaque propos se fonde, comme j’ai
pu le constater en le parcourant. Autour de moi quelques personnes dont
les exigences et la compétence sont grandes et qui l’ont entièrement lu
me disaient l’importance de ce qu’elles en ont reçu. Il faut tout faire,
et je m’y emploie, pour que bientôt des historiens vrais, de la même
passion du vrai qui est la tienne, s’attachent à en débattre avec toi.
Les insultes contre toi que j’ai pu connaître (jusque dans un quotidien
que j’estime le plus pour son habituelle objectivité), qui t’ont accablé
de toutes parts sont déshonorantes pour ceux qui, comme à la légère,
t’en accablent ». (2)
Poursuivant plus loin l’Abbé Pierre
décrit son effroi à la lecture du Livre de Josué : « (…) Sur toi et ta
vie, peu de mots suffisent. Tu es un de ces hommes qui ne cessera
jamais, jusqu’au face à face avec l’Infini Amour, d’être tourmenté d’une
dévorante faim d’Absolu. (…) Tout a commencé, pour moi, dans le choc
horrible qui m’a saisi lorsqu’après des années d’études théologiques,
reprenant pour mon compte un peu d’études bibliques, j’ai découvert le
livre de Josué. Déjà un trouble très grave m’avait saisi en voyant, peu
avant, Moïse apportant des "Tables de la loi" qui enfin disaient : "Tu
ne tueras pas , voyant le Veau d’or, ordonner le massacre de 3.000 gens
de son peuple. Mais avec Josué je découvrais (certes contés des siècles
après l’événement), comment se réalisa une véritable "Shoah" sur toute
vie existant sur la "Terre promise". La violence ne détruit-elle pas
tout fondement de la Promesse ? (…) Mais cette Alliance porte-t-elle
encore sur ce coin du monde seulement (que l’on peut et doit encore
appeler, non "terre promise", mais "terre sainte", couverte de crimes
mais aussi de saints prophètes ? (…) Je t’en prie, retiens de ces lignes
presque illisibles que nous lirons ensemble au téléphone, la force et
la fidélité de mon affectueuse estime et de mon respect pour l’énorme
travail de ton nouveau livre. Le confondre avec ce qui fut appelé
"révisionnisme" est une imposture et véritable calomnie d’inconscients.
Ton frère, Abbé Pierre » (2)
Roger Garaudy l’humaniste , le penseur et le croyant .
Chantal Dupille avec un zèle de bénédictin a compilé les contributions
nombreuses variées et éclectiques de Roger Garaudy. Nous allons en cite
quelques unes : « J'aime la mort écrit Garaudy du même amour que la
vie. Parce qu'elles ne font qu'un. La mort - j'entends la mort
naturelle, après une longue vie de travail et d'amour - n'est pas une
limite, une négation de la vie. Elle donne, au contraire, à la vie sa
signification la plus haute. Ma propre mort est un rappel constant que
mon projet n'est pas un projet individuel. Je ne suis un homme que si je
participe à un projet qui me dépasse... Tout ce que j'ai pu créer, par
mon travail, ma pensée, mon amour, s'est inscrit et pour toujours dans
la création continuée de l'homme par l'homme. A partir du moment où
cette participation à la création est brisée j'ai cessé d'être un
vivant, même si une technique médicale absurdement devenue une fin en
soi me maintient pour un temps encore dans un état végétatif ». (3)(4)
A l'échelle du monde : Les désastres du néolibéralisme
Il y a trente ans déjà Garaudy nous mettait en garde contre les lois
du marché « Au lieu de considérer l'actuelle logique économique de
Maastricht, de l'Euro, et de l'économie de marché, comme un destin, il
s'agit de rompre avec cette logique, c'est à dire passer de la logique
de la spéculation à la logique de la production et de la création
humaines à l'échelle du monde total et non d'une Europe, hier coloniale
et aujourd'hui vassale, mais toujours usurière par son exploitation des
dettes d'un monde qu'elle a sous-développé au profit de son propre
développement déshumanisé ». (3)(5)
« De nouveaux rapports
avec la nature qui ne soient plus des rapports de conquérants mais
d'amoureux (..) Pour que se produise enfin, sur notre planète en péril,
un changement radical d'orientation de nos sociétés, il ne suffit pas de
réformes économiques et sociales, ni même de révolutions et de
transferts de pouvoir. Pour opérer une radicale mutation, il faut un
véritable soulèvement spirituel, un réveil global de conscience...
L'éducation, de ce point de vue, a pour fin première la libération et la
culture de l'imagination. Il n'est pas d'éducation plus révolutionnaire
que celle qui tend à faire prendre conscience à l'enfant que le monde
n'est pas une réalité donnée, toute faite, mais une oeuvre à créer,
comme une oeuvre d'art ». (3) (6)
« Nous souffrons écrit
Garaudy de vivre dans un monde sans but Ce qu'on appelle la politique de
croissance est une politique pour laquelle le fonctionnement, de la
machine est le but. Même si c'est une machine inutile, nuisible, ou
mortelle. (…) Il ne s'agit pas d'arrêter la croissance mais de
l'orienter pour qu'elle serve non l'abaissement de l'homme mais son
épanouissement. Le marché capitaliste a recréé la jungle animale. Dans
cette nouvelle jungle les forts dévorent les faibles: les grandes
entreprises écrasent les petites, les sans propriété sont à la merci des
possédants. (…) Dans les pays capitalistes l'homme est mutilé par cette
triple aliénation de l'avoir, du pouvoir et du savoir. Les pays dits
"socialistes" (à l'exception de la Chine) ont adopté le même modèle de
croissance, la même coupure individualiste de l'homme, la même coupure
entre dirigeants et dirigés. La prétendue "aide au Tiers-Monde", au lieu
d'instituer un véritable "dialogue des civilisations" pour définir
ensemble les orientations de l'avenir, tend à intégrer les pays
autrefois colonisés au modèle occidental de croissance aveugle qui
maintient et aggrave le inégalités entre les classes comme entre les
nations ». (3)
Les sens de la vie et le rejet de tous les intégrismes
« Nous voulons que notre vie ait un sens écrit encore Garaudy dans sa
vison œcuménique des religions, notre histoire un but. Nous voulons que
chacun de nous participe à la découverte de ce sens, à la réalisation de
ce but. Il n'est pas possible d'amender le système par des réformes
partielles. Il faut en changer radicalement les principes et les
structures. Abolir le capitalisme en son principe même, c'est combattre
l'économie de marché, c'est-à-dire une économie fondée sur le profit de
quelques-uns, l'exploitation des multitudes, le massacre de la nature
considérée comme un réservoir et un dépotoir, la dégradation de l'homme,
exploité comme travailleur, manipulé comme consommateur. En finir avec
toutes les survivances du colonialisme c'est engager avec les
non-Occidentaux un véritable dialogue des civilisations pour apprendre
de leur culture d'autres rapports avec la nature qui ne soient plus
seulement techniques mais vitaux, d'autres rapports sociaux qui ne
soient ni totalitaires ni individualistes mais communautaires ».
(3)(7)(8)
« Dans son dernier livre, écrit Michel Grodent, le philosophe s'en prend à tous les intégrismes
A quatre-vingt-deux ans, Roger Garaudy n'a rien perdu de sa
combativité. Il n'a renoncé ni à Marx - ni à l'islam - à ne pas
confondre avec l'islamisme. Son dernier livre a des accents
prophétiques. Garaudy constate la décadence dans laquelle nous sommes :
(…) Le responsable a pour nom «monothéisme de marché». (..) Il ne faut
pas se tromper de cible, prévient-il. Quand leurs intérêts financiers ou
pétroliers ne sont pas en jeu, beaucoup d'État occidentaux acceptent,
au nom de la sacro-sainte raison d'État, de traiter avec des régimes
musulmans non démocratiques. Au besoin, ils les aideront même à mater
des rébellions, comme on l'a vu en 1979. (..) Le fondamentalisme est une
réponse, incorrecte, dommageable, à un autre fondamentalisme qui est
celui du colonialisme occidental. Et Garaudy de mettre en balance deux
prétentions, intégristes, à posséder la vérité et à l'imposer à la terre
entière. La version occidentale est économiste et abrutissante. Elle a
pour véhicule favori la «télévision-poubelle», manipulatrice des
opinions publiques. (…) » (9)
« Je vois l'islamisme comme
une maladie de l'islam. (…) Si Dieu seul possède, poursuit Garaudy, qui
peut décemment légitimer ces fortunes colossales réalisées en terre
d'islam au mépris de toute justice distributive ? Si Dieu seul sait, qui
peut se croire dépositaire d'un savoir absolu ?(…) Je rappelle dans mon
livre ce «hadith», ce propos attribué au Prophète, lorsqu'il fut
consulté par un homme qui était entré dans un champ de blé pour y
arracher quelques épis. L'homme s'était fait agresser par le
propriétaire. Le Prophète convoqua ce dernier qui se répandit en
protestations. Comment ?, lui répliqua Mahomet, il était ignorant et tu
ne l'as pas éduqué ? Il avait faim et tu ne l'as pas nourri ? Réprimer
le vol en coupant les mains au voleur, comme on le fait dans certains
pays musulmans, ce n'est pas un signe d'obéissance à la loi divine.
Respecter la chari'a suppose que l'on s'attaque aux racines du mal : les
conditions sociales qui incitent à voler. Et, de toute façon, quelle
hypocrisie, à l'heure où le vol se pratique à grande échelle, où il
suffit d'appuyer sur une touche d'ordinateur pour transférer des
milliards d'un organisme bancaire à l'autre ! » (9)
Réfléchir sur l’avenir de l’homme
Makhily Gassama a eu le lourd privilège résumer l’œuvre titanesque de
Roger Garaudy en focalisant sur l’un des ouvrages « Comme l’homme
devient humain « (…) C’est précisément à la remise en question de nos
actes, à la contemplation de l’œuvre immense accomplie, à travers les
âges, par les hommes de tous les continents, que R. Garaudy nous convie
dans son œuvre : Comment l’homme devint humain, témoignage émouvant de
l’ensemble de l’effort fourni par les Races, pour la gloire de l’Homme !
Pour l’homme moderne, surtout l’homme occidental, l’œuvre de R. Garaudy
est une invite à l’humilité, car il n’existe pas de peuple sans
Histoire ; il n’est pas de peuple qui n’ait « rien inventé ». Et le
développement de l’Homme, aussi stupéfiant qu’il soit, par rapport à
l’Histoire du Monde, « est, nous prévient Roger Garaudy, ce que sont à
une année les trois minutes dernières... ». (10)
Comment
l’homme devint humain se présente, dans une autre perspective, comme une
invite à la tolérance, à la fraternité entre les différentes Races, les
différentes ethnies, qui peuplent notre Terre, cette Terre qui, vue
d’une autre planète, paraît « belle, lumineuse », une et pacifique »
Qu’on se souvienne ! Au Paléolithique supérieur (30 à 40.000 ans avant J
.c.) le métissage biologique et culturel, qu’il s’agisse du métissage
intra-racial ou interracial, était déjà un acquis de l’Histoire des
hommes ! C’est dire, en d’autres mots, que la Civilisation de
l’Universel à laquelle Roger Garaudy a décidé de consacrer le reste de
sa vie, ne constitue pas, ne peut constituer, pour nous, un projet ou
une utopie. Elle est, comme sont les lois de la nature. (…) Comment
faire comprendre au grand public de l’Occident, que c’est en Afrique,
que l’on a trouvé les plus vieux squelettes humains ? (…) Comment
soutenir, devant ce public, que le papier et l’imprimerie « sont connus
en Chine, 700 ans avant Gutenberg » ; et qu’Ibn Khaldoun « trois siècles
avant Montesquieu, à une époque où l’Europe ne connaissait que des «
chroniqueurs », recherche les lois du développement historique, et
au-delà du « hasard », les causes cachées » ? Est-il aisé de faire
admettre à l’opinion occidentale, à l’heure de la greffe du cœur, qu’en
médecine, l’encyclopédie médicale de l’Iranien Razi, traduite en latin, «
fait autorité dans tous l’Occident médiéval » ?(….) Et comme l’écrit
l’Iranien Sohravardi dans son Bréviaire des Fidèles d’amour cité par R.
Garaudy, « l’amour seul peut nous conduire à ce à quoi nous aspirons. Il
faut donc se rendre soi-même capable d’éprouver l’amour... de se donner
totalement à
l’amour ». (10)
Rien à ajouter.. Reposez en paix monsieur Garaudy , que la terre vous soit légère .
1.Roger Garaudy est mort. L’Expression du 16 juin 2012
2. La lettre de l'Abbé Pierre à Roger Garaudy 15 avril 1996: http://rogergaraudy.blogspot.fr/2010/10/1996-la-lettre-de-labbe-pierre-roger.html
3.
http://chantaldupille.over-blog.com/article-disparition-de-roger-garaudy-humaniste-artiste-croyant-libre-penseur-fraternel-106895558.html
4. Roger Garaudy, Parole d'homme, Editeur Robert Laffont, 1975
5. Roger Garaudy, L'avenir mode d'emploi, Editions Vent du large, p.11
6.Roger Garaudy, Les fossoyeurs. Un nouvel appel aux vivants. pp 207-209 Eds. l'Archipel
7.Roger Garaudy "Le projet espérance"(Editeur Robert Laffont), 1976
8. http://rogergaraudy.blogspot.fr/2011/04/vers-une-guerre-de-religion.html
9.Michel Grodent, "Le Soir", Mercredi 8 mars 1995 Roger Garaudy, «Vers
une guerre de religion ? Le débat du siècle», Desclée de Brouwer
10. Makhily Gassama
http://rogergaraudy.blogspot.com/2010/09/comment-lhomme-devint-humain.html Ethiopiques
n° 25 011981 "Comment l’homme devint humain"
Professeur émérite Chems Eddine Chitour
Ecole Polytechnique enp-edu.dz