L'expérience m'avait instruit du double qui fleurit dans l'Eglise. Mais ma connaissance s'est enrichie maintenant de l'entretien et de la culture du double à l'intérieur des cénacles révolutionnaires. La révolution se niche dans le secteur politique des vies humaines pour laisser la famille, le couple, le sexe, les pensées, suivre leur cours privé. L'ardeur à pourfendre la structure capitaliste de l'ensemble social sera d'autant plus vive que l'on se retranchera férocement derrière le capital du foyer, du souci primordial de soi et des siens. C'est incroyable, l'énergie théorique et affective que l'on dépense pour s'appliquer à ne jamais s'impliquer. Protéger ma liberté revient à défendre mon droit d'être divisé. Vouloir tout casser autour de soi, avoir le mot de révolution sans cesse à la bouche, c'est éviter sa propre remise en question. L'affirmation à temps et à contretemps du besoin de révolution radicale offre un avantage supérieur encore au propos d'amour, nettement dévalué aujourd'hui: on ne veut se trouver qu'entre révolutionnaires qui passent leur temps à déclarer qu'ils le sont; il faut, du même coup, repérer chez le copain d'en face le mot qui va lui échapper, fournissant la preuve d'un relent de réformisme, de social-démocratie, voire de christianisme honteux.
(Voir http://www.cardonnel.info/ )