“Qui dites-vous que je suis?” demandait, jadis, le titre d’un ouvrage de l’écrivain et philosophe Roger Garaudy (Qui dites-vous que je suis ?, roman, aux éditions du Seuil, en 1978).
Un article vaguement étrange. Etrange, cet article l’est, tout d’abord, parce que Le Monde commence
par dire qu’il reprend l’information – celle, donc, de la mort de Roger
Garaudy – sur un autre site (1). Or on a l’impression, à lire l’article du Monde, que le journal reproche au site en question d’avoir donné la nouvelle de ce décès “sur le mode du deuil”. “Sur quel mode” faut-il annoncer une mort?
Etrange, cet article l’est, ensuite,
parce que Roger Garaudy, mort à presque cent ans, a eu un itinéraire
philosophique et politique tellement sinueux, tellement riche, complexe –
voire contradictoire - qu’il n’est guère possible de le résumer. Ou de
le réduire à un seul aspect.
Pourtant, Le Monde s’attache
surtout – et s’attache, en tout cas, dans le titre de l’article - aux
toutes dernières années de l’existence de Roger Garaudy. Est-il possible
d’évoquer la vie d’un homme qui est mort centenaire, en insistant exclusivement – ou exagérément - sur les dix dernières années de son existence?
Le Monde écrit que, depuis 1996 environ, Roger Garaudy avait “bel et bien disparu du paysage national”.
Né le 17 juillet 1913 à Marseille, Roger
Garaudy adhère au parti communiste à vingt ans, en 1933. Arrêté en
septembre 1940, il passe toute la guerre en internement. Roger Garaudy
était – entre autres – titulaire de la Croix de Guerre 1939-1945 et de
la Médaille de la déportation et de l’internement pour faits de
résistance. Il entre au comité central du Parti Communiste français, en
1945.
Ce grand antigaulliste sera député du
Tarn en 1945 et 1946 lors des deux assemblées constituantes, puis élu à
la première Assemblée nationale. En 1956, il est député de la Seine. Et
même vice-président de l’Assemblée nationale de 1956 à 1958, puis
sénateur d’avril 1959 à novembre 1962.
Il sera exclu du PCF une dizaine
d’années plus tard. Voici comment Roger Garaudy s’exprimait, à Nanterre,
en 1970 (et je trouve ce document d’autant plus émouvant que ma propre
mère, à l’époque, enseignait à l’Université de Nanterre, ville où
j’avais moi-même habité en… Mai 1968).
Comme dit Le Monde, en ce temps-là Roger Garaudy “jouissait de la pleine respectabilité accordée aux intellectuels en vue”.
Sa recherche philosophique et religieuse se poursuit. Je me souviens, pour ma part, de son livre D’un réalisme sans rivages: Picasso Saint-John Perse Kafka,
préfacé par Louis Aragon (Plon, 1963), qui n’avait pas entraîné ma
pleine adhésion à l’époque où je l’avais lu, mais qui était – et qui
reste – un livre à lire.
En 1978, Roger Garaudy passe chez Jacques Chancel :
En 1981, c’est la publication de Promesses de l’Islam (Seuil) et la conversion de Roger Garaudy à cette religion.
Toujours selon l’article paru aujourd’hui dans Le Monde, en 1992 Roger Garaudy “est encore un intellectuel reconnu” (et cela, malgré la (première) Guerre du Golfe, qu’il dénonce comme “une guerre coloniale”).
Ensuite, l’ancien intellectuel
stalinien, docteur en philosophie, philosophe du PCF, puis gauchiste
autogestionnaire en Mai 1968, puis musulman Roger Garaudy, qui avait
toujours été “excommunié” – ou s’était excommunié lui-même - partout où
il était passé, finit cependant par subir l’excommunication majeure et
définitive de toute son existence.
Défendu par l’Abbé Pierre (qui sera
exclu quant à lui, à cause de cela, de la LICRA), Roger Garaudy avait
en effet subi diverses condamnations à des peine d’amendes et
d’emprisonnement (avec sursis) pour contestation de crimes contre
l’Humanité.
Comme dit Le Monde, Roger
Garaudy disparut alors du paysage national. Il cessa de jouir de la
pleine respectabilité accordée aux intellectuels en vue, et d’être un
intellectuel reconnu.
“Qui dites-vous que je suis?” demandait, jadis, le romancier Roger Garaudy.
Roger Garaudy est mort.
Qu’il ait été un intellectuel
controversé est indéniable. Mais ce fut un intellectuel, aussi, qui
aura traversé son siècle en y laissant une trace (et des dizaines de
livres). Et aussi un “orateur brillant, jouant de sa considérable
culture” (comme le reconnaît, dans son article d’aujourd’hui, Le Monde).
Un intellectuel en recherche pérenne.
Or ceux qui cherchent, parfois, se trompent.
Il n’y a que ceux qui ne cherchent pas qui ne se trompent jamais.
Garaudy, au moins, n’était pas un intello botulien.
(1) NDLR: Il s'agit de l'article sur le site d'Alain Soral "Egalité et réconciliation", or ce site a simplement repris l'article du blogue "Roger Garaudy" en le signalant expressément d'ailleurs à 2 reprises ce que "Le monde" a tout simplement ignoré. Hélas pour la "démonstration" du quotidien français soi-disant "de référence", ce n'est donc pas un site d'extrême-droite qui a donné le premier la nouvelle de la mort de Roger Garaudy. Un détail sans doute, mais tous les détails ont leur importance dans le concert des media-mensonges...